Introduction
Dans cette série sur l'évaluation des effets des politiques menées depuis 2002: la réforme de l'assurance-maladie.
Ce deuxième volet n'est pas sans rapport avec le précédent (les retraites). La presse capitaliste nous rappelle de façon très lucide que la méthode est la même: " Dans quelle mesure le système d’assurance-maladie, selon lequel chacun paie selon ses moyens et reçoit des soins selon ses besoins, sera-t-il préservé ? Le gouvernement jure certes qu’il n’est pas question de remettre en cause la Sécu en tant que telle. Mais, sur les retraites, il explique aussi que la loi Fillon conforte le système par répartition. Or, si la loi en réaffirme le principe, de fait, la baisse programmée du niveau des pensions ouvre plus grand la porte à la retraite par capitalisation. " (Stéphanie Tisserond, La Tribune, 5/01/04, p. 2). On ne saurait mieux décrire la politique du gouvernement Raffarin…
La réforme proposée
Avril 2003: J-F Chadelat remet au Ministre de la Santé (Mattei) le rapport que celui-ci lui avait commandé. Alors directeur du Fonds de financement de la CMU, Chadelat avait été directeur chargé des questions de santé chez AXA de 1990 à 1994. Il avait également fait partie du groupe " d’ experts" qui avait élaboré la réforme Juppé...
Il préconise un système de prise en charge à 3 étages:
- L’Assurance Maladie Obligatoire (AMO: "filet de sécurité" minimal),
- L'Assurance Maladie Complémentaire de Base (AMCB: prise en charge du ticket modérateur et des "dépassements autorisés" dans le parcours coordonné). Elle est facultative.
- Un troisième niveau de complémentaire sans aucune régulation prendra en charge les dépenses exclues des deux autres niveaux (comme le forfait consultation complémentaire de base)
Les syndicats ont dénoncé cette proposition d'une médecine à plusieurs vitesses. Toute baisse de prise en charge par le régime obligatoire (premier niveau) s’accompagne d’une augmentation des inégalités d’accès aux soins, puisqu’on passe d’un système où les cotisations sont proportionnelles aux revenus et ne dépendent pas de l’état de santé des gens, à un système où les cotisations sont les mêmes quelque soit le revenu et même, pour le "3e étage", vont dépendre de l’état de santé!
Tout dépend bien sûr de la répartition des dépenses entre celles qui relèvent de l’AMO et celles qui relèvent de l’AMCB. La volonté de maintenir une frontière entre couverture de base et couverture complémentaire avec la perspective de voir s’étendre le champ de cette dernière, est révélatrice d’enjeux financiers importants et inquiétante pour les assurés. Au nom de la volonté affichée de réduire le niveau des prélèvements obligatoires la tentation sera forte de transférer une part de plus en plus importante du régime obligatoire vers les complémentaires et ainsi de réduire l’AMO à un filet de sécurité minimale. Au bout du compte, les assurés subiront de plein fouet les augmentations de cotisations ou de primes auxquelles les mutuelles et les assurances seront conduits.
Plus le 3ème étage se révèle important, plus les inégalités dans l’accès aux soins risquent de s’aggraver car seuls les plus riches pourront y prétendre à ce niveau de couverture.
Le contexte
Le gouvernement Raffarin voulait mettre en oeuvre les propositions du rapport en légiférant à l'automne 2003, dans la foulée de la réforme des retraites. Bénéficiant depuis 2002 d'une majorité absolue au Parlement (acquise dans les circonstances que l'on sait...), l'UMP avait les mains libres pour appliquer rapidement les recommandations du patronat sur les grands dossiers.
Le mouvement contre la réforme des retraites ayant été défait (voir le message précédent), la droite voulait profiter du rapport de force favorable (découragement des militants, division syndicale etc.) pour imposer dans la foulée une réforme de l'Assurance Maladie.
Les effets sanitaires désastreux de la canicule de l'été 2003 ont toutefois compromis ce calendrier. Non seulement Mattéi y a perdu tout crédit, mais le sujet devenait bien trop sensible dans l'opinion publique.
La réforme fut donc reportée. En mars 2004, Douste-Blazy remplace Mattéi au Ministère de la Santé. Sa proposition de loi sur l'Assurance-Maladie est adoptée par le Parlement durant l'été 2004. En quoi consiste-t-elle?
La réforme adoptée (voir aussi ici)
- Chaque assuré est doté d'un dossier médical personnel informatisé constitué de toutes les données de santé recueillies à l'occasion de son "parcours de soin". L'idée de départ est bonne, le problème est que la loi ne donne pas de véritable garantie contre les dérives possibles. Evoquons trois problèmes. Premièrement, un problème de confidentialité: comment s'assurer que les données seront à l'abri alors qu'elles suscitent la convoitise de nombreux acteurs (à commencer par les assurances privées qui pourront mieux exclure, ou discriminer, les "clients à profil risqué")? Si l'accès au dossier est théoriquement interdit en dehors du suivi médical, les modalités de contrôle sont très faibles. Voir, par exemple, le problème d'interconnexion des fichiers à partir du numéro de Sécurité Sociale. Deuxièmement, le problème de la standardisation du dossier médical et du codage des pathologies, qui tentent d’unifier le langage médical, mais qui, de par leur dimension réductrice, exposent au risque de substituer au patient réel son "double informationnel". Troisièmement, le problème des usages futurs de la banque de données ainsi constituée sur toute la population. Elle pourrait permettre d’en déduire des profils des consommateurs de soins, véritable tremplin pour mettre en place demain un système d’assurance-maladie concurrentiel basé sur la sélection des risques.
- Augmentation de la CSG et de la CRDS. Le taux de la CSG taxant le revenu des retraités et pré-retraités imposables augmente de 0,4 point. L’assiette de la CSG taxant les revenus des salariés et des chômeurs passe de 95 % du salaire brut (ou de l’allocation chômage) à 97 %. Cet élargissement s’appliquera également à la CRDS... Le gouvernement aurait pu faire le choix d'un élargissement des prélèvements à l'ensemble des revenus financiers. Mais l’augmentation de 0,13 % à 0,16 % de la Contribution sociale de solidarité frappant le chiffre d’affaire (supérieur à 760 millions d’euros par an) des sociétés reste symbolique... tout comme les taxes frappant l’industrie pharmaceutique.
- Augmentation du forfait hospitalier (cette part de dépense non remboursée était passée de 10,67 à 13 euros en septembre 2003, la loi prévoit de la porter à 14 euros, 15 euros, puis à 16 euros en 2007). Cette hausse induit un transfert de paiement vers les complémentaires qui couvrent ce forfait (avec pour effet une augmentation de cotisations) ou directement vers les usagers qui n’ont pas de complémentaire.
- La création d'un forfait obligatoire par acte (1 euro non remboursable, sauf pour les enfants, femmes enceintes etc.).
- L’article 32 du projet. Le but de cette aide aux complémentaires est de créer un filet de sécurité minimum (s’ajoutant à la CMU complémentaire) pour les personnes les plus démunies pour faire passer la pilule de l’augmentation des cotisations et primes des assurances complémentaires pour tous les autres. Cette aide est dérisoire, inacceptable et de toute façon aléatoire. Cette aide est dérisoire : 150 euros par an (12,50 euros par mois !) pour les personnes ne bénéficiant pas de la CMU et dont le revenu n’est pas supérieur à plus de 15 % du revenu ouvrant droit à la CMU, soit 647 euros aujourd’hui. Mais un dispositif avait déjà été mis en place permettant à tous ceux dont le revenu n’était pas supérieur à 12,7 % du revenu ouvrant droit à la CMU de percevoir une aide de 115 euros par mois. La modification que le gouvernement considère comme fondamentale ne porte donc que sur 35 euros par an, soit moins de 3 euros par mois ! Deux millions de personnes seraient concernées contre 1,6 millions aujourd’hui. Le problème est que, aujourd’hui sur ces 1,6 millions de personnes concernées, seulement 50 000 ont recours au dispositif tant l’aide concédée est dérisoire. Cette aide est inacceptable. Il s’agit d’allouer des fonds publics à des organismes privés. Ces fonds doivent revenir à l’assurance maladie obligatoire. Cette aide est de toute façon aléatoire. Il suffit pour s’en convaincre de constater le sort réservé par la droite aux prestations financées par l’impôt et sous condition de ressources : le RMI, l’Allocation Spécifique Solidarité, l’Aide Médical d’Etat....
- Une réorganisation des structures de l'Assurance-Maladie. Pour une analyse critique de cet aspect de la réforme, voir la fiche rédigée par le syndicat Sud