24.4.08
Les mensonges de Brice Hortefeux
* "Lorsque 1 800 immigrés clandestins sont morts en 2007 aux portes de l'Europe sur des barques de fortune, victimes de réseaux et de passeurs, faudrait-il rester les bras ballants ? Lorsque des immigrés légaux font l'effort de respecter nos lois et de suivre le parcours d'intégration, faudrait-il n'en tenir aucun compte et ne pas faire de différence avec ceux qui rentrent en France illégalement et y séjournent sans y être autorisés ?
Lorsque les gouvernements des pays d'émigration eux-mêmes nous demandent de ne pas piller leurs forces vives, faudrait-il refuser de les écouter et de gérer les flux migratoires avec eux de manière concertée ? "
Cette succession de fausses questions est un procédé rhétorique dont le candidat Sarkozy a usé tout au long de sa campagne. Fausses questions parce que le Ministre n'attend aucune réponse. Et pour cause: la seule réponse rationnelle consisterait à rappeler que sa politique ne vise aucunement à épargner des noyades, rappeler que les immigrés illégaux font "l'effort de respecter" les lois et de payer des impôts mais que le Ministre refuse de leur donner des papiers, rappeler qu'il n'existe pas de "parcours d'intégration", rappeler que ce sont Hortefeux et Sarkozy qui pillent les pays du Sud en choisissant les migrants les plus diplômés.
* Pour Brice Hortefeux, la seule alternative aux Centres de Rétention Administrative (CRA) "serait la prison", or "la personne retenue, qui séjourne en moyenne douze jours en CRA, bénéficie de conditions de vie beaucoup plus libérales que celles d'un détenu : droit de visite étendu, possibilité de téléphoner à l'extérieur, absence d'enfermement en cellule…".
Non, on ne "séjourne" pas dans un CRA: on y est enfermé. A ce premier mensonge, le Ministre ajoute deux omissions. D'abord, la comparaison avec la prison veut faire oublier que le seul délit de ceux que l'on enferme dans un CRA, et qui sont parfois de jeunes enfants, c'est de ne pas avoir de papiers. Ce ne sont ni des délinquants ni des criminels. Ensuite, la moyenne de "douze jours" signifie que certains y sont détenus plus longtemps. Or c'est Sarkozy qui, en 2003, a fait passer la durée maximale de détention de 12 à 32 jours. Le Parlement Européen veut la porter à... 18 mois.
Le plus grave mensonge du Ministre consiste toutefois à faire passer les CRA pour un lieu où les "conditions de vie" sont relativement acceptables, alors même qu'elles sont inhumaines et dégradantes. Risque-t-on sa vie en faisant une grève de la faim ou en avalant des lames de rasoir dans un lieu où les droits sont respectés?
Par exemple, le 11 février, au CRA de Vincennes, des policiers de la BAC ont utilisé des pistolets électriques (Taser) pour mater des détenus qui protestaient. Cinq d'entre eux ont été placés en garde à vue pendant quelques heures par l'Inspection générale des services (IGS), jeudi 17 avril, après qu'une enquête préliminaire a été ouverte par le parquet de Paris. Car les affaires de ce genre se multiplient.
Par exemple, le 6 avril, au moment même où, à Joinville-le-Pont, se rendait l'hommage à Monsieur Traoré, mort en tentant d'échapper à la police, soixante détenus en grève de la faim subissaient, à quelques mètres de là au CRA de Vincennes, une répression incroyablement brutale. Sortis de force de leurs chambres, pour être conduits au réfectoire, ils ont protesté et les policiers les ont copieusement matraqués. Une personne qui se trouvait encore par terre –
apparemment victime d'une crise cardiaque – a été transportée à l'hôpital. Trois ont été envoyées à l'infirmerie. L'un aurait le bras cassé. Nombreux ont des bleus, y compris des cocards aux yeux. Etc.
Hortefeux a beau jeu de rappeler que "les premiers (CRA) ont été ouverts en 1984, lorsque les socialistes et les communistes étaient au pouvoir". C'est vrai. Est-ce une raison pour les accepter? Pour taire ce qui s'y passe?
VIDEO 32 JOURS EN CENTRE DE RÉTENTION
Lire le rapport 2007 de la CIMADE, seule association autorisée à pénétrer dans les CRA
Extrait: "La pression installée par les objectifs chiffrés d’expulsion conduit les services de police à procéder à de plus en plus d’interpellations avec des méthodes souvent contestables.
Interpellations à domicile, rafles, contrôles d’identité justifiés par des prétextes dérisoires (traversée en dehors des clous, crachat sur la voie publique, etc.) masquant mal la réalité de contrôle “au faciès”. La chute du jeune Ivan à Amiens à l’été 2007 qui tentait d’échapper à une interpellation à domicile, la défenestration puis le décès de Chulan Zhang Liu, ressortissante chinoise, à Belleville le 21 septembre 2007, le suicide par pendaison le 15
février 2008 de John Maina, un Kenyan de 20 ans, après avoir appris le rejet de sa demande d’asile, comme la mort le 4 avril 2008 de Baba Traoré, âgé de 29 ans qui, poursuivi par la
police, s’est jeté dans la Marne à Joinville-le-Pont, montrent à quels drames conduit l’instauration d’un tel climat de peur. Les services administratifs confrontés à une obligation de résultat appliquent la loi d’une manière de plus en plus mécanique et sous un angle plus répressif ne leur permettant souvent plus de mesurer la réalité des situations humaines derrière les dossiers.
Trois nouveaux centres de rétention sont entrés en fonction en 2007 à Nîmes, Rennes et Metz. Malgré des améliorations sur le plan des conditions matérielles qui en viendraient presque à
banaliser l’enfermement, ces centres sont de plus en plus grands, d’aspect toujours plus carcéral avec la multiplication des caméras de surveillance des portes automatiques réduisant au minimum le contact humain. Nous y rencontrons de plus en plus d’étrangers
pour qui la privation de liberté et la perspective d’une expulsion sont inacceptables et insupportables. Conjoints de français, malades, vieillards, futurs parents d’enfants français, mineurs, demandeurs d’asile craignant pour leur vie, touristes, résidents réguliers dans un autre pays européen, jeunes majeurs, doubles peines… L’inventaire en est impossible mais chacune de ces histoires mériterait d’être racontée.
Au mois d’octobre 2007, le placement en rétention d’un nourrisson de 3 semaines au centre de rétention de Rennes est venu illustrer à nouveau l’inhumanité de l’enfermement des familles et
des mineurs. A cette occasion la cour d’appel de Rennes a pour la première fois affirmée et reconnue qu’une telle décision constituait un traitement inhumain et dégradant au sens de l’article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des libertés fondamentales et des droits de l’Homme. Cette décision de justicen’a pourtant pas mis fin à cette pratique. En 2007, 242 enfants de tous âges sont passés derrière les grilles et les barbelés des centres de rétention français. Nous ne pouvons une nouvelle fois que dénoncer la violence qui est ainsi faite à ces enfants et à leur famille interpellés le plus souvent chez eux au petit matin avant d’être conduits au côté de leurs parents menottés et enfermés dans les CRA désormais “habilités à les recevoir”. Le traumatisme infligé à ces enfants, parfois déjà marqués par une histoire difficile dans leur pays d’origine, est injustifiable. Aucun objectif politique ne peut expliquer que l’on place ainsi des
mineurs derrière des barreaux.
Le désespoir créé par les conditions collectives de l’enfermement et par l’addition des drames individuels entraîne une multiplication des actes graves en centres de rétention. Automutilations,
tentatives de suicides, incendies, révoltes sont quasi quotidiens.
Une personne s’est suicidée au CRA de Bordeaux en juin 2007, deux retenus ont tenté de s’immoler par le feu à Lyon, ainsi qu’au Mesnil-Amelot où a également été lancé, au mois de
décembre, un mouvement de revendications qui a tranché par sa longévité et son ampleur. Cette contestation s’est ensuite propagée au CRA de Vincennes, ce centre de 280 places qui
symbolise l’industrialisation de la rétention et de l’expulsion des sans-papiers. À Vincennes, dans la nuit du 11 au 12 février 2008, une soixantaine de policiers sont intervenus pour obliger
des personnes retenues à regagner leurs chambres. Cette intervention plus que musclée - la préfecture de police de Paris a par la suite confirmé qu’un policier avait fait usage du Taser - a
entraîné l’hospitalisation de deux personnes et fait l’objet d’une double enquête de l’Inspection générale des services (IGS).
Dans la nuit du 12 au 13 février, une dizaine de cars de CRS étaient placés, à l’extérieur du centre, à titre préventif. Le 6 avril, au lendemain de la mort de Baba Traoré, alors qu’il y avait des manifestants autour du centre suite à la manifestation organisée la veille sur le thème “la Xénophobie d’État tue”, les retenus se sont mobilisés. Il y a eu des altercations avec la police du CRA puis tout est redevenu calme après le placement en isolement d’un retenu. Le lendemain, à 5 heures du matin, alors qu’un retenu malien allait être escorté jusqu’à l’aéroport, les retenus
du site 1 ont été nombreux à se lever et sont sortis dans la cour. Ils ont brûlé des matelas, des couvertures et des draps pour exprimer leur colère. La police urbaine de proximité et de la
circulation publique est une nouvelle venue fois en renforts auprès des fonctionnaires du CRA. Quatre personnes retenues ont été molestées et ont décidé de porter plainte. Plus de 20 plaintes ont été déposées par des personnes retenues à Vincennes depuis le mois de décembre 2007" (pp. 3-4)
Seule bonne nouvelle, la CIMADE rapporte "la fermeture après 22 ans de fonctionnement du centre de Rivesaltes. Les derniers retenus placés dans ce centre quittent les lieux le 17 décembre. Se termine ainsi l’enfermement de personnes sur le terrain du camp militaire Joffre de Rivesaltes, qui avait débuté en 1940 par l’internement des Républicains espagnols, de juifs étrangers et de Tsiganes.
Le transfert du CRA de Rivesaltes à Perpignan s’explique avant tout par les pressions exercées par l’équipe du projet du Mémorial du Camp de Rivesaltes (Conseil général des PO) qui a revendiqué, en vue de la construction du mémorial, la fermeture du CRA sur le terrain militaire de Rivesaltes." (p. 185)
7.4.08
Que se passe-t-il en Irak?
L'Iran et Moqtada Al-Sadr renforcés après l'offensive militaire ratée du gouvernement irakien
INCITATION AMÉRICAINE
Tout au long de la semaine d'affrontements armés qu'ils ont approuvés, auxquels ils ont prêté la main, et qui a fait au moins 470 tués et des milliers de blessés, les Américains n'ont cessé d'encourager Téhéran "à mettre son influence au service de la stabilisation" de la situation.
C'est fait. Washington et Téhéran peuvent s'accuser mutuellement des pires méfaits en Irak, nombreux sont les esprits politiques de ce pays à penser que les deux puissances sont au moins d'accord sur la nécessité de ne pas laisser s'installer, aujourd'hui, un chaos général.
Engagés au nord dans une offensive contre les rebelles sunnites d'Al-Qaida, les Américains qui n'ont pas de présence militaire permanente à Bassora ont, semble-t-il, cru M. Maliki sur parole lorsque celui-ci leur a affirmé que son offensive serait quasiment une promenade de santé. Comme certains des généraux irakiens eux-mêmes qui l'ont confié, ils ont été "surpris" par la combativité de l'Armée du Mahdi, la milice du courant sadriste et par sa capacité à mobiliser des partisans dans toutes les grandes villes du sud chiite et jusqu'à Bagdad.
M. Maliki n'a atteint aucun des objectifs qu'il s'était fixés. Les "18 milices" recensées à Bassora par le chercheur franco-irakien Hosham Dawod sont toujours en place et aux commandes de leurs juteux trafics.
Aucun des quartiers de Bassora ou d'ailleurs qui étaient sous la domination de l'Armée du Mahdi n'a été repris. Des centaines de policiers et de soldats à travers le pays ont refusé d'ouvrir le feu sur les miliciens et, parfois, les ont rejoints. Pour leur première grosse opération sous commandement national, et malgré 30 000 hommes sur place, la nouvelle armée et la police irakiennes formées par les Américains ont dû appeler les alliés anglo-saxons à la rescousse pour avancer ou se sortir de mauvais pas.
Théoriquement valide jusqu'au 8 avril, l'offre du premier ministre de "racheter" les armes lourdes des combattants au prix fort n'a pratiquement rien donné.
M. Maliki, qui s'était imprudemment juré de rester à Bassora "jusqu'à la victoire", a dû se résoudre à rentrer à Bagdad avec une crédibilité politique plus mince encore qu'avant l'offensive. Le fait qu'il ait qualifié, mardi, l'opération de "succès" et qu'il se soit abstenu d'en sonner la fin ne change rien à l'affaire. Il y aura sans doute d'autres affrontements interchiites avant les élections régionales du 1er octobre. En attendant, "c'est une grande victoire de l'Iran", se désole Mahmoud Othman, un élu kurde proche de la présidence de la République et toujours très bien renseigné. "Téhéran a montré que c'est lui et non Washington qui a la haute main sur nos affaires, analyse-t-il. L'objectif de l'Iran est de rendre Maliki aussi faible que possible pour qu'il soit obligé d'accepter ses visées. De fait, il a été obligé de courir à Qom pour négocier."
Le président Bush qui avait encouragé l'initiative de son allié et jugé qu'il s'agissait en l'occurrence d'un "test historique pour l'Irak libre" doit se mordre les doigts.
Patrice Claude