8.12.05

Eloge de l'indignation

Un soir du printemps 2003, mes amis et moi collions sur les murs d'un bureau de Poste des textes dénonçant les mensonges du gouvernement sur la réforme des retraites. Pierre Marcelle passait par là. Le lendemain, il en parlait dans sa tribune. Quelques mois plus tard, il eut vent d'une autre de nos actions, un peu plus spectaculaire. Sans savoir qu'il s'agissait des mêmes, il en rendit compte à nouveau. Mais ce n'est pas la raison pour laquelle je lis très régulièrement sa tribune. C'est plutôt parce qu'il est très rare de partager les mots qu'un journaliste peut mettre sur un sentiment de révolte. Parce que c'est à peu près tout ce qu'il reste d'intelligence critique à "Libé". Parce que cela fait du bien, tout simplement...
Voici sa tribune du jeudi 08 décembre 2005:

Aimé Césaire, l'indigène
par Pierre MARCELLE
Ainsi, ces vérités d'évidence que des penseurs blancs et fringants, par manque de courage ou de conviction n'auront pas énoncées, il fallut qu'un vieux Nègre les rappelle. Il s'appelle Aimé Césaire, entrait cet été dans sa 93e année, et demeure une conscience poétique et politique puissante. Lundi, identifiant dans la promotion médiatique de sa possible rencontre avec le ministre Sarkozy «un piège» dans lequel «il ne tomberait pas», il formula explicitement son refus de «l'esprit de la loi de février» (l'amendement «Y'a bon»). Les écrivains Patrick Chamoiseau et Edouard Glissant l'ont rejoint mardi dans un collectif déterminé à faire abolir «la loi de la honte», et, dans la nuit, invoquant «malentendu» et manque de «sérénité» (sic), Sarkozy renonçait à «sa tournée préélectorale aux Antilles», comme dit le socialiste Victorin Lurel, président de la Région Guadeloupe. A mettre en regard les réactions continentales et ultramarines au désormais fameux texte sur le «rôle positif de la colonisation», on découvre des abysses qui ne laissent pas d'interroger des brûlures où mémoire et banlieues se marient et où l'indigène rejoint le sauvageon. «Lutte ouvrière» y qualifia (lors de son congrès de dimanche) les échauffements citadins de novembre de «révolte d'asociaux». Sans atteindre au flamboyant fantasme «ethno-religieux» de nos beaux esprits parleurs, l'asocial des amis d'Arlette Laguiller n'en semble pas si éloigné. Au confusionnisme de ceux-ci et de ceux-là, on recommandera la relecture du vieux monsieur que j'ai dit au premier paragraphe. «Et c'est là le grand reproche que j'adresse au pseudo-humanisme : d'avoir trop longtemps rapetissé les droits de l'homme, d'en avoir eu, d'en avoir encore une conception étroite et parcellaire, partielle et partiale et, tout compte fait, sordidement raciste.» Aimé Césaire publia son Discours sur le colonialisme en 1953, peu avant le vote d'une autre loi scélérate au nom de laquelle nous est aujourd'hui infligé un Etat d'urgence.

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