23.3.06

CPE: au sujet des chiffres avancés par le gouvernement

Argumentaire en trois temps:
1/ Ils noircissent le tableau
2/ Le CPE ne résoudra pas le problème
3/ A quoi sert vraiment le CPE?

1/ Noirs refrains sur la jeunesse
Par Florence AUDIER et Laurence LIZE et Christophe RAMAUX économistes à l'université Paris-I(Libération, 23 mars 2006, extrait)

" Le chômage des jeunes : depuis longtemps s'est répandue l'idée selon laquelle un jeune sur quatre est au chômage en France. En réalité, et fort heureusement, seul un jeune sur douze est dans cette situation. Le taux de chômage des 16-24 ans était de 22 % en janvier 2006. Mais ce taux, comme tous les taux de chômage, est calculé en rapportant le nombre de chômeurs aux seuls actifs, soit en l'occurrence les jeunes qui ont un emploi et ceux qui sont au chômage. Par construction, il ne prend donc pas en compte tous ceux, soit l'écrasante majorité des jeunes, qui sont en formation (les deux tiers des 16-24 ans sont dans ce cas en France).
Il y a donc bien presque un jeune actif sur quatre au chômage. Mais avec moins de 8 % de chômeurs parmi l'ensemble des jeunes de cette classe d'âge, la France se situe exactement dans la moyenne de l'Europe des Quinze. Le boom scolaire et universitaire, particulièrement vif au cours des trois dernières décennies dans l'Hexagone ­ et qui résulte, en partie, de la volonté de se prémunir, par le diplôme, du risque de chômage (comme quoi tout se tient...) ­, explique cette situation.

Comment interpréter alors la permanence de l'antienne selon laquelle un jeune sur quatre est au chômage ? On peut soutenir qu'une étonnante convergence de logiques opère ici. La logique de certains médias, d'une part, qui relaient d'autant plus allègrement l'antienne qu'ils sont plus souvent en quête de «scandales» (celui du chômage des jeunes en l'occurrence) que d'arguments rationnels pariant sur l'intelligence de leurs publics. La logique de certains autres, qui ont parfois tendance à assombrir la situation pour mieux la dénoncer, sans comprendre qu'à agir ainsi on désarme bien plus souvent qu'on ne mobilise. La logique du gouvernement enfin, qui peut paradoxalement avoir intérêt à «noircir» ce qui relève pourtant de son bilan, afin de faire, pense-t-il, passer ainsi plus aisément certaines de ses décisions. Un jeune sur quatre est au chômage : on ne peut rester sans rien faire : tel était déjà l'argument avancé par le gouvernement, en 1993, pour justifier le contrat d'insertion professionnelle. Tel est l'argument repris par Dominique de Villepin pour justifier le contrat première embauche [...]"

Ajoutons à cet article, que contrairement aux mensonges du gouvernement, l’accès au CDI est loin d’être l’exception pour les jeunes actifs. 3 ans après la sortie de leur formation initiale, le CDI concerne 71 % des jeunes actifs (source: CEREQ, 2005). Si l'on distingue en fonction des catégories de diplômes, on s'aperçoit que la formation joue un rôle essentiel dans l'insertion :

Non qualifiés: 52% (sont en CDI au plus tard 3 ans après la sortie de leur formation)
CAP ou BEP: 68% (sont en... )
Bac général: 66%
Bac+2: 66%
Bac+3 ou +4: 76%
Bac+5: 85%
(Ensemble: 71%)
Conclusion: il faut plus de moyens pour l'Education Nationale!

2/ Le CPE ne résorbera pas la précarité

Le CPE ne va pas résorber le chômage mais engendrer une substitution d'un contrat par un autre (effet d'aubaine). Pour produire quoi que ce soit, le patron a besoin de salariés: il les embauchera désormais en CPE (tellement plus avantageux pour lui). "La grande idée libérale est que la flexibilité crée des emplois. Le problème est qu’elle se heurte au bon sens : les patrons ne vont pas créer des emplois pour le plaisir de bénéficier des contrats précaires qu’on leur offre sur un plateau. Ils vont certes profiter de cette aubaine pour embaucher 100 CPE ou CNE, plutôt que 100 CDI. Mais pourquoi un de plus ?" (Michel Husson, Regards, avril 2006).

En outre, le "P" de CPE est une esbrouffe. La loi prévoit qu'en cas de rupture à l'initiative de l'employeur, au cours des deux premières années, il ne pourrait être conclu de nouveau CPE entre le même employeur et le même salarié avant que ne soit écoulé un délai de trois mois à compter du jour de la rupture du précédent contrat.
Autrement dit, sous réserve de respecter (mais qui vérifiera ?) un délai de trois mois à l’issue d’un CPE, l’employeur sera autorisé à embaucher à nouveau le même travailleur en CPE, et à réitérer l’opération sans limitation. Actuellement, la loi interdit de recruter à nouveau par CDD sur le même poste avant un délai de carence égal au tiers de la durée du CDD précédent, ce qui a pour finalité de limiter la précarisation des emplois. On voit donc clairement que le projet CPE équivaut sur ce point à la suppression d’une règle anti-précarité.

3/ A quoi sert le CPE?

C'est un joli cadeau à tous les patrons (même les entreprises du CAC40 qui annoncent des profits records). Il instaure, en effet, une exonération de cotisations sociales pendant 3 ans. C’est un dispositif qui, en l’absence de garantie de compensation par l’Etat, met gravement en cause les ressources des organismes sociaux. Et si l’Etat compense ce cadeau, les cotisations sociales se trouvent transférées de l’employeur sur le contribuable...
Un second cadeau au patronat est la diminution des indemnités de licenciement (elles passent de 10% à 8% de la rémunération brute).

Enfin, il s'agit de faire peur au salariat, d'atomiser toute velléité de résistance. Il y a d'une part la diminution des droits au chômage. L'allocation forfaitaire est ridicule (16,40 euros par jour) et n'est versé que durant deux mois! La peur des conséquences du chômage va s'accroître, suscitant une plus grande docilité des salariés.
En outre, quel jeune en CPE aura le courage de faire valoir ses (maigres) droits, ou de prendre des responsabilités syndicales, sachant que son employeur peut le licencier immédiatement, par simple envoi d'un courrier en recommandé, sans avoir à fournir de motif ?

2 commentaires:

Asty a dit…

J'étais déjà passé rapidement ici, mais je n'avais pas pris le temps de lire.

Très bon blog, dont je vais essayer de garder l'adresse pour l'ajouter ds mes liens de mon blog (anticpe.blogspot.com).

Bravo pour ton travail, et bonne continuation.

Guillaume.

Philippe a dit…

Il n'y a déjà pas grand monde sur mon blog... si en plus je découvre les messages un mois après qu'ils aient été rédigés!

Cela me fait penser qu'il ne faut pas mettre tes menaces à exécutions (j'ai lu aujourd'hui sur ton blog que face aux insultes récurrentes et aux messages "hors-sujet", tu allais peut-être "laisser mourrir" ton blog). Il y a beaucoup de débats sur ton blog, et c'est très précieux!