26.4.06

Un toit, c'est un droit !

Samedi 29 avril, il y a une manifestation contre la réforme du CESEDA ("l'immigration choisie" façon Sarkozy). La manif partira de République à 14h. Un départ collectif du 13e est prévu depuis le square "Eloise et Abelard" (rue Dunois) où campent les expulsé-e-s du 35bis rue Dunois. Le RDV est à 12h30 au square, puis il est prévu de passer à 13h devant Grand Ecran à Place d'Italie, puis de prendre le métro...
Précisions sur l'expulsion ci-dessous:

Que vont devenir les habitants du 35 bis rue Dunois ? Depuis leur expulsion jeudi 20 avril, ils sont à la rue !

Une expulsion brutale dans le 13ème pour le profit d’un propriétaire véreux
Jeudi 20 avril à l’aube, après avoir bouclé tout le quartier, les CRS ont investi l’immeuble du 35 bis rue Dunois. C’est par la force qu’ils ont expulsé les familles de l’immeuble, femmes et enfants compris. Cinq personnes sans papiers ont été menottées et embarquées à la préfecture de police (toutes ont depuis été relâchées). Les autres expulsés ont dû s’entasser dans des cars direction la banlieue munis de bons pour quelques jours d’hôtel. Après des négociations, ils n’ont pu emporter que quelques objets, beaucoup de leurs affaires restant dans l’immeuble, surveillé par des vigiles.
Depuis l'expulsion les habitant-e-s, dont plusieurs familles avec des enfants, sont toujours à la rue : seule une partie s'est vue proposer des hébergements, de courte durée, et très éloignés des écoles des enfants et du lieu de travail des salariés (à Pontault-Combault par exemple) !
Environ 25 personnes, dont une dizaine d'enfants, CAMPENT désormais dans le square en face de l'immeuble !

Une situation qu’on a laissé pourrir : il est urgent d’agir !
Cette situation est inacceptable ! D’autant plus que cet immeuble n’est pas insalubre : il a été rendu dangereux par des propriétaires qui ont cessé tout entretien depuis plus de 10 ans et fait couper le gaz et l’électricité depuis 2003, pour chasser les habitants. Depuis 6 mois nous nous battons aux côtés des habitants pour obtenir le rétablissement de l’électricité et un plan global de relogement. Une délégation a été reçue par des élus du 13ème fin janvier, mais les minces avancées informelles n’ont pas été mises en œuvre, et il aura fallu 4 courriers au maire et aux élus concernés, et de très nombreux échanges, pour qu’un rendez-vous nous soit enfin accordé en avril ! Mais l’expulsion a eu lieu et la mairie ne s’y est pas opposée ni n’a prévenu les intéressés.

Boulevard Vincent Auriol l’été dernier, il aura fallu 17 morts dont 14 enfants pour reloger les rescapés ! Les habitants du 13è, les parents d’élèves des écoles voisines où vont les enfants et les voisins s’en souviennent… Ils viennent apporter leur soutien aux expulsés depuis jeudi et ils ne cachent pas leur colère. Que vont devenir les anciens habitants du 35 bis rue Dunois ? Quelle chance d’avenir pour les enfants scolarisés dans le quartier ?
Il est urgent de réussir une mobilisation de grande ampleur afin d’obtenir un relogement durable pour ces habitants qu’un propriétaire véreux a jetés à la rue.

Avec le soutien de : les Alternatifs, Alternative libertaire 13è, ATTAC-13è, Comité de soutien du 35 bis, Comités actions logement (CAL), Comité des sans logis (CDSL), Ensemble Dunois-Jeanne d’arc, FCPE 13è, LCR 5è-13è, MRAP 5è-13è, Ras’l’front 13è, Réseau éducation sans frontière (RESF), XIII-écolo, Union des familles laïques (UFAL)-13è, les Verts 13è…
Pour contacter le Comité de soutien du 35 bis : comite35bisdunois@yahoo.fr

15.4.06

Supprimer les licenciements

Lors d'une récente AG à Tolbiac, une quinzaine d'étudiants de droite étaient venu faire de la provocation. Ils s'inscrivaient les uns derrière les autres pour prendre la parole. Leur tour venu, ils tentaient de pourrir l'AG en faisant des propositions qu'ils jugeaient eux-mêmes absurdes.

On a ainsi eu droit à "je propose que l'AG vote une motion exigeant que tous les étudiants de Tolbiac viennent en maillot de bain" etc. Ces propositions leur semblaient presque aussi drôles que ce qu'ils entendaient dans l'amphithéâtre: lorsque l'on ne connaît que les quartiers chics les discussions sur la précarité, le salariat, les émeutes de banlieue ou les lois racistes ont un aspect surréaliste. C'est qu'elles portent sur une partie de la société que ces étudiants ne connaissent pas, ou feignent de ne pas connaître.
Leurs interventions étaient par conséquent sarcastiques mais très révélatrices de leur vision du monde. Quelle ne fut pas leur surprise de se faire applaudir par la moitié de l'amphi lorsqu'ils demandèrent ironiquement "vous parlez beaucoup de répression policière, alors je propose que l'on exige la dissolution de la police, de la gendarmerie nationale et de l'armée française"!

Mais la plus intéressante de leurs "propositions" fut celle "d'interdire tous les licenciements partout sur la planète". Ils furent à nouveau très surpris d'être applaudis. L'interdiction des licenciements leur semble être une mesure complètement utopique... pour la simple raison qu'elle se situe complètement au-delà de l'horizon de l'esprit bourgeois. On nous répète en permanence qu'il faut s'adapter aux "lois" de l'économie, que l'on a pas le choix, que réalité rime avec "flexibilité" etc. L'idéologie dominante finit par nous paralyser, par anesthésier nos propres neurones. N'est-il plus possible de penser la lutte contre les licenciements? Un ouvrage collectif doit justement sortir dans quelques jours à ce sujet: Supprimer les licenciements (Editions Syllepse, 8 euros). Michel Husson (économiste) et Laurent Garrouste (inspecteur du travail) figurent parmi les auteurs (entretien Ici).
Extraits de l'ouvrage (j'attire l'attention du lecteur sur les passages en rouge):

"Le succès de la revendication d’interdiction des licenciements dans les entreprises qui font des profits s’explique par un sentiment légitime de rejet d’une telle situation. Il s’est développé en France, à partir de l’affaire Michelin, quand cette firme a annoncé, en 1999, à quelques jours d’intervalle, de confortables bénéfices et la suppression de 3 500 emplois ! Un sondage montrait qu’une forte majorité (75 %) de Français considérait que de telles décisions étaient inacceptables. Pour légitime qu’elle soit, cette revendication se heurte cependant à une limite de taille. Elle ne couvre pas la grande majorité des licenciements économiques qui ont lieu dans des entreprises qui peuvent connaître des difficultés réelles, transitoires ou non, dont une grande partie sont des petites entreprises qui ne sont pas assujetties à la procédure de plan de sauvegarde de l’emploi. Or, les dégâts sociaux engendrés par les licenciements appellent la formulation d’une réponse d’ensemble qui soit à même de prendre en compte la totalité des cas, y compris les licenciements économiques individuels dans les petites entreprises. On voit immédiatement surgir toute une série d’objections. Le capital a considérablement accru sa mobilité, sa capacité de redéploiement et de contournement des règles sociales : comment, dans ces conditions, aller vers une sécurité accrue pour les salariés ? Comment éviter les licenciements dans les entreprises qui font faillite ? Comment fermer les activités "dépassées" ou polluantes sans licencier ? [...] En même temps, l’exigence d’un droit à l’emploi effectif monte, et de nombreuses propositions ont été récemment avancées sur ce terrain : rapports Supiot1 ou Bélorgey2, projets de « sécurité d’emploi-formation » du PCF, ou de « sécurité sociale professionnelle » de la CGT, terme ayant été repris avec des contenus parfois différents par des responsables du PS. [...] Faute d’être suffisamment précis, certains d’entre eux recèlent même de réels dangers.

Responsabilité patronale
La question centrale qui est posée est de savoir comment rendre effectif le droit à l’emploi. Nous l’abordons à partir de deux idées essentielles. Première idée : il n’y a aucune raison que les salariés pâtissent de choix de gestion dont ils ne sont nullement responsables. Après tout, ce sont les employeurs qui dirigent les entreprises, et c’est le système de concurrence qui conduit aux restructurations et aux destructions d’emplois. Seconde idée : la question ne peut être traitée au niveau de l’entreprise. Pour que le droit à l’emploi devienne effectif, c’est le fonctionnement global des entreprises qui doit être questionné. Seuls responsables de leur gestion, les employeurs doivent supporter les coûts d’une mise en oeuvre effective du droit à l’emploi.

• Principe n°1 : continuité du socle contractuel. Plusieurs juristes affirment que le droit à l’emploi ne serait pas opposable [au patronat, NDLR], faute de pouvoir définir un « débiteur » redevable de cette « créance ». Pourtant ce débiteur existe : ce sont les entreprises, et donc le patronat compris comme entité collective. Il appartient donc au législateur d’élaborer des lois établissant sa responsabilité au regard du droit de chacun à obtenir un emploi qui, sans cela, est évidemment une coquille vide. [...] L’effectivité du droit à l’emploi passe par un véritable projet de refondation du statut de salarié, dont le principe de base serait de le déconnecter de l’affectation à un moment donné du salarié. Autrement dit, les périodes intermédiaires entre deux emplois doivent bénéficier d’une garantie de rémunération intégrale, avec la possibilité de choisir une formation prise en charge, elle aussi, intégralement. Ce principe de continuité du salaire et des droits sociaux implique qu’un travailleur doit se voir reconnaître des droits à ressources qui dépendent de sa qualification personnelle (formation, expérience, etc.), mais pas de sa position du moment : qu’il soit en emploi immédiatement productif, en formation, ou en recherche de travail, il doit percevoir le salaire qu’il recevrait s’il était en situation d’emploi. [...] Ce principe reconnaît donc à la personne un statut professionnel permanent, entérinant le fait que les périodes de recherche et de formation sont des périodes productives à part entière. Cependant, et c’est là un désaccord essentiel avec beaucoup de projets actuels de « sécurité sociale professionnelle » qu’ils reprennent cette dénomination ou non, cette nouvelle définition des droits du salarié ne saurait en aucun cas être le prétexte à une libéralisation du régime du licenciement. Lorsque les dirigeants d’une entreprise estiment que celle-ci est dans une situation difficile nécessitant une réduction du nombre d’emplois, il faut d’abord que cette appréciation, et donc le projet qui en découle, puissent être contestés en cours de procédure. En tout état de cause, les salariés concernés ne devraient subir aucun licenciement, mais bénéficier d’un statut garantissant le bénéfice du socle contractuel acquis dans leur emploi et d’une obligation de reclassement de résultat incombant au patronat selon les modalités décrites plus bas.

• Principe n°2 : une obligation de reclassement de résultat. On a montré au chapitre 2 les résultats désastreux de l’actuelle « obligation de recherche de reclassement ». Lorsqu’il est mis en oeuvre, le reclassement est souvent un déclassement, fréquemment doublé d’une précarisation du statut contractuel. Nous proposons de substituer à cette obligation molle ce qu’il convient d’appeler une obligation de reclassement de résultat, corollaire de la continuité du socle contractuel et permise par le financement mutualisé. La mise en oeuvre de cette obligation pourrait suivre un parcours étagé, de l’entreprise au groupe, puis à la branche et au patronat en tant qu’entité collective.

• Principe n°3 : un financement mutualisé. Les deux principes précédents débouchent sur la nécessité d’un financement mutualisé des coûts de fonctionnement du système ainsi mis en place. [...] Il faut donc mettre en place des fonds de mutualisation à la charge des entreprises qui permettent de financer cette permanence du droit à l’emploi, par-delà les aléas de la vie de telle ou telle entreprise. De tels fonds sont nécessaires si l’on veut garantir un statut du salarié caractérisé par la continuité de l’emploi, non d’un emploi particulier et immuable, mais d’un emploi avec garantie de qualification et de rémunération.

Abolir la précarité
Lutter contre le chômage et les licenciements nécessite une intervention spécifique sur la précarité. L’emploi précaire (CDD, intérim, temps partiel et, maintenant, contrats nouvelles embauches) constitue en effet une dimension clé de la gestion patronale de la main-d’oeuvre. Il vise à constituer un volant de main-d’oeuvre éjectable sans formalités en cas de problème économique et donc de contourner la réglementation sur le licenciement économique. [...] Le recours à cette main-d’oeuvre précaire est massif dans certains secteurs : intérimaires dans l’automobile et le bâtiment, temps partiel dans la grande distribution ou les centres d’appel. Le recours au CDD comme période d’essai est très répandu, en toute illégalité [...]. Il ne s’agit pas, pour autant, de nier les problèmes de saisonnalité et de pic d’activité : certaines activités peuvent effectivement se concentrer sur quelques mois. Cependant, la logique de mutualisation esquissée plus haut permet d’avancer des solutions simples et radicales, autour de deux propositions : tout intérimaire devient un salarié en CDI de l’entreprise d’intérim ; le régime du CDD, comme celui des contrats de chantier (régi par l’article L321-12 du code du
2 travail) est supprimé. [...] Supprimer les licenciements, c’est aussi supprimer les autres licenciements, notamment les licenciements pour faute et pour inaptitude. Ce n’est pas une remarque de détail puisque ces licenciements sont plus nombreux que les licenciements économiques aujourd’hui [...]. Ce phénomène traduit l’individualisation et la violence accrues des rapports salariaux.

Élargir le rapport de force
Il faut donc investir ce terrain d’un point de vue revendicatif. Il faut notamment exiger un changement radical du droit disciplinaire. Aujourd’hui, l’employeur instruit la faute, la qualifie, l’apprécie, entend le salarié, décide de la sanction, l’applique. S’il décide que la faute est grave, il peut licencier sans indemnités de licenciement. [...] Il faut donc, au moins, que la qualification des faits supposés fautifs échappe à l’employeur. Soit que l’employeur doive saisir un juge des faits reprochés, ce qui empêche tout licenciement durant l’instruction, soit que ce rôle soit dévolu à une commission paritaire de branche, par exemple [...]. Il faut, en tout état de cause, exiger en priorité que tout licenciement jugé sans cause réelle et sérieuse, soit nul et ouvre droit à réintégration, sauf souhait contraire du salarié préférant une indemnisation3. [...] Pour sortir de la phase défensive actuelle, le rapport de force doit se construire à la fois dans et hors de l’entreprise : le groupe doit être interpellé, mais aussi la branche voire le Medef et/ou les pouvoirs publics. La bataille pour la préservation des emplois menée face à un patron d’une entreprise qui est en train de couler doit élargir sa cible au-delà du champ de bataille local pour pouvoir gagner. Face aux multinationales, la contestation devrait viser à une convergence de l’ensemble des mouvements sociaux afin de cerner l’entreprise dans ses différents lieux d’implantation et viser les différentes failles de la cuirasse. Ainsi, à Metaleurop, la constitution d’un front commun des salariés et de leurs syndicats, des habitants de la zone et des associations écologistes aurait amélioré le rapport de force des salariés : une alliance commune aurait permis de puissamment délégitimer cette entreprise « voyou » et de créer un rapport de force élargi. La domiciliation du principal actionnaire dans un paradis fiscal helvétique permettait aussi d’ouvrir un autre front, et de donner une dimension internationale à cette bataille. "

Supprimer les licenciements (Ed. Syllepses, 8 euros): Résumé et bon de commande
Réunion-débat avec les auteurs: Librairie La Brèche, 27 rue Taine 75012, jeudi 27 avril à 18h30

14.4.06

Est-on trop indulgent envers Israël ?, par Shlomo Sand

LE MONDE 13.04.06 13h41

Le verdict des urnes dans les territoires de l'Autorité palestinienne a été critiqué par la quasi-totalité des capitales occidentales qui, en revanche, ont accueilli avec satisfaction la nouvelle donne issue des élections israéliennes. Le fait que beaucoup d'Israéliens aient commencé à exprimer leur lassitude après de longues années d'occupation des territoires palestiniens peut, effectivement, être perçu comme une évolution positive dans cette "guerre de cent ans" des temps modernes.

Mais les choix politiques du peuple palestinien sont disqualifiés par les porte-parole américains, au motif que les vainqueurs des élections ne sont pas disposés à reconnaître l'Etat d'Israël. Cela constitue un problème, mais faut-il vraiment s'en étonner ? Depuis maintenant quatre décennies, tous les gouvernements d'Israël, de droite comme de gauche, n'ont cessé d'autoriser ou d'encourager le processus de colonisation qui ronge, année après année, de nouveaux morceaux du territoire palestinien.

Après le refus historique permanent d'Israël de reconnaître ne serait-ce qu'une part de responsabilité dans l'origine du problème des réfugiés palestiniens en 1948, et après avoir tout fait pour réduire en miettes le prestige et le semblant de souveraineté de l'Autorité palestinienne, la population des territoires, soumise à l'occupation, a majoritairement opté pour une alternative politique plus ferme, mais aussi moins corrompue. Certes, le Hamas, de l'avis général, joue un jeu dangereux, et il est peu probable qu'il trouve un soutien durable auprès du peuple palestinien, particulièrement éprouvé. Cependant il assume le risque de défier Israël et l'Occident. Il n'a pas pour autant rejeté totalement l'idée d'une reconnaissance mutuelle, laissant même entendre qu'il y serait disposé sous certaines conditions.

L'Etat d'Israël, c'est un fait, n'a jamais reconnu une Palestine dans les frontières de 1967, pas plus qu'il n'a reconnu Al Qods (la partie arabe de Jérusalem) comme capitale de l'Etat palestinien ; pourquoi, dans ces conditions, reconnaître un tel Israël ? En 1988, le mouvement national palestinien a majoritairement fini par adopter le principe du partage de la Palestine. Mais Israël n'a toujours pas admis, à ce jour, le principe du droit à l'autodétermination du peuple palestinien, sans pour autant se voir menacé de boycott par le monde occidental. Des pressions ont pu être exercées, çà et là, sur Israël, mais nul recours à la menace publique et aux sanctions.
Pourquoi, les Américains n'adoptent-ils pas une attitude semblable à l'égard du gouvernement Hamas ? Il faut, évidemment, chercher la réponse dans leur relation historique déséquilibrée vis-à-vis des Israéliens et des Arabes. Il n'aura guère fallu plus de deux semaines pour que la Syrie retire ses troupes du Liban, à la suite de la résolution du Conseil de sécurité de l'ONU, alors que, depuis 1967, les Etats-Unis opposent systématiquement leur veto à toute tentative de résolution intimant à Israël d'évacuer les territoires occupés. Face à la négation, depuis trente-neuf ans, des droits politiques et humains de tout un peuple, le monde occidental démocratique se tait. Il a fallu l'outrecuidance du vote des Palestiniens en faveur du Hamas pour l'arracher à son silence !

Le monde, en revanche, ne tarit pas d'éloges à l'égard d'Ehoud Olmert, tout comme il avait fini par encenser son prédécesseur, Ariel Sharon : tous deux auraient la trempe d'un de Gaulle. Mais ni l'un ni l'autre n'a envisagé de négocier avec les Palestiniens une "paix des braves". Bien au contraire : Israël édifie un mur de séparation, non pas sur son territoire, mais sur celui des Palestiniens ; Israël met tout en oeuvre pour annexer la partie orientale de Jérusalem, y compris ses Lieux saints ; Israël expulse des populations palestiniennes de la vallée du Jourdain afin de parachever l'encerclement des Palestiniens et densifie sa présence dans la zone étroite entre les territoires occupés au sud et au nord de Jérusalem afin d'empêcher toute continuité territoriale dans le futur Etat palestinien. Tout cela n'empêche pas Israël de se voir décerner bons points et appréciations flatteuses. Pourquoi, en effet, s'embarrasser des principes de justice et d'égalité des droits, si cette politique des faits accomplis par la force assure trente-neuf années supplémentaires de tranquillité relative, avec un niveau limité de terrorisme local ?
Mais les élections israéliennes n'ont pas traduit uniquement la victoire du sentiment de lassitude vis-à-vis de l'occupation et de la terreur meurtrière qu'elle a engendrée. L'"Etat juif et démocratique", qui, selon sa propre définition, n'est pas la république de tous ses citoyens, mais un Etat pour les juifs du monde entier, est saisi d'une crainte majeure : celle de l'évolution du rapport démographique entre juifs et Arabes sur l'ensemble des territoires dont il a pris possession. Cette préoccupation a guidé hier le retrait israélien de la bande de Gaza ; elle explique aujourd'hui le succès du parti Kadima et la popularité de son projet de "regroupement".

La droite "territorialiste", qui rêvait du "Grand Israël", est aujourd'hui en recul au profit d'une droite "ethniciste" qui a le vent en poupe : le parti Notre maison Israël d'Avigdor Liberman, dont les immigrés de Russie constituent l'essentiel de l'électorat, veut exclure des frontières d'Israël les régions peuplées d'Arabes israéliens afin de parvenir à un Etat juif "homogène". Ce parti, qui prône ouvertement une épuration ethnique, jouit désormais d'une pleine légitimité dans la culture politique israélienne. Ehoud Olmert, le futur premier ministre, l'a invité à rejoindre son gouvernement, selon le principe que seuls des partis juifs et sionistes peuvent participer à sa coalition. De ce fait, il confirme ce qui est connu de tous : l'Etat d'Israël n'est démocratique que pour ses juifs et juif pour ses Arabes.

En tant qu'Israélien, fils de juifs qui se sont vu dénier, au XXe siècle, le droit de citoyenneté au motif de leur origine, comment ne pas s'effrayer de la perspective d'un Etat juif "purifié" ! Il y a donc urgence à mettre fin à l'occupation et au cortège d'actes meurtriers qu'elle nourrit, mais aussi à vacciner l'Etat d'Israël contre le virus raciste qui menace de le contaminer !

Traduit de l'hébreu par Michel Bilis.
Shlomo Sand est professeur d'histoire contemporaine à l'université de Tel-Aviv.