24.1.07

UMP: le bilan (2)

Introduction
Dans cette série sur l'évaluation des effets des politiques menées depuis 2002: la réforme de l'assurance-maladie.
Ce deuxième volet n'est pas sans rapport avec le précédent (les retraites). La presse capitaliste nous rappelle de façon très lucide que la méthode est la même: " Dans quelle mesure le système d’assurance-maladie, selon lequel chacun paie selon ses moyens et reçoit des soins selon ses besoins, sera-t-il préservé ? Le gouvernement jure certes qu’il n’est pas question de remettre en cause la Sécu en tant que telle. Mais, sur les retraites, il explique aussi que la loi Fillon conforte le système par répartition. Or, si la loi en réaffirme le principe, de fait, la baisse programmée du niveau des pensions ouvre plus grand la porte à la retraite par capitalisation. " (Stéphanie Tisserond, La Tribune, 5/01/04, p. 2). On ne saurait mieux décrire la politique du gouvernement Raffarin…

La réforme proposée
Avril 2003: J-F Chadelat remet au Ministre de la Santé (Mattei) le rapport que celui-ci lui avait commandé. Alors directeur du Fonds de financement de la CMU, Chadelat avait été directeur chargé des questions de santé chez AXA de 1990 à 1994. Il avait également fait partie du groupe " d’ experts" qui avait élaboré la réforme Juppé...
Il préconise un système de prise en charge à 3 étages:
  1. L’Assurance Maladie Obligatoire (AMO: "filet de sécurité" minimal),
  2. L'Assurance Maladie Complémentaire de Base (AMCB: prise en charge du ticket modérateur et des "dépassements autorisés" dans le parcours coordonné). Elle est facultative.
  3. Un troisième niveau de complémentaire sans aucune régulation prendra en charge les dépenses exclues des deux autres niveaux (comme le forfait consultation complémentaire de base)
Les syndicats ont dénoncé cette proposition d'une médecine à plusieurs vitesses. Toute baisse de prise en charge par le régime obligatoire (premier niveau) s’accompagne d’une augmentation des inégalités d’accès aux soins, puisqu’on passe d’un système où les cotisations sont proportionnelles aux revenus et ne dépendent pas de l’état de santé des gens, à un système où les cotisations sont les mêmes quelque soit le revenu et même, pour le "3e étage", vont dépendre de l’état de santé!
Tout dépend bien sûr de la répartition des dépenses entre celles qui relèvent de l’AMO et celles qui relèvent de l’AMCB. La volonté de maintenir une frontière entre couverture de base et couverture complémentaire avec la perspective de voir s’étendre le champ de cette dernière, est révélatrice d’enjeux financiers importants et inquiétante pour les assurés. Au nom de la volonté affichée de réduire le niveau des prélèvements obligatoires la tentation sera forte de transférer une part de plus en plus importante du régime obligatoire vers les complémentaires et ainsi de réduire l’AMO à un filet de sécurité minimale. Au bout du compte, les assurés subiront de plein fouet les augmentations de cotisations ou de primes auxquelles les mutuelles et les assurances seront conduits.
Plus le 3ème étage se révèle important, plus les inégalités dans l’accès aux soins risquent de s’aggraver car seuls les plus riches pourront y prétendre à ce niveau de couverture.

Le contexte
Le gouvernement Raffarin voulait mettre en oeuvre les propositions du rapport en légiférant à l'automne 2003, dans la foulée de la réforme des retraites. Bénéficiant depuis 2002 d'une majorité absolue au Parlement (acquise dans les circonstances que l'on sait...), l'UMP avait les mains libres pour appliquer rapidement les recommandations du patronat sur les grands dossiers.
Le mouvement contre la réforme des retraites ayant été défait (voir le message précédent), la droite voulait profiter du rapport de force favorable (découragement des militants, division syndicale etc.) pour imposer dans la foulée une réforme de l'Assurance Maladie.
Les effets sanitaires désastreux de la canicule de l'été 2003 ont toutefois compromis ce calendrier. Non seulement Mattéi y a perdu tout crédit, mais le sujet devenait bien trop sensible dans l'opinion publique.
La réforme fut donc reportée. En mars 2004, Douste-Blazy remplace Mattéi au Ministère de la Santé. Sa proposition de loi sur l'Assurance-Maladie est adoptée par le Parlement durant l'été 2004. En quoi consiste-t-elle?

La réforme adoptée (voir aussi ici)
  • Chaque assuré est doté d'un dossier médical personnel informatisé constitué de toutes les données de santé recueillies à l'occasion de son "parcours de soin". L'idée de départ est bonne, le problème est que la loi ne donne pas de véritable garantie contre les dérives possibles. Evoquons trois problèmes. Premièrement, un problème de confidentialité: comment s'assurer que les données seront à l'abri alors qu'elles suscitent la convoitise de nombreux acteurs (à commencer par les assurances privées qui pourront mieux exclure, ou discriminer, les "clients à profil risqué")? Si l'accès au dossier est théoriquement interdit en dehors du suivi médical, les modalités de contrôle sont très faibles. Voir, par exemple, le problème d'interconnexion des fichiers à partir du numéro de Sécurité Sociale. Deuxièmement, le problème de la standardisation du dossier médical et du codage des pathologies, qui tentent d’unifier le langage médical, mais qui, de par leur dimension réductrice, exposent au risque de substituer au patient réel son "double informationnel". Troisièmement, le problème des usages futurs de la banque de données ainsi constituée sur toute la population. Elle pourrait permettre d’en déduire des profils des consommateurs de soins, véritable tremplin pour mettre en place demain un système d’assurance-maladie concurrentiel basé sur la sélection des risques.

  • Augmentation de la CSG et de la CRDS. Le taux de la CSG taxant le revenu des retraités et pré-retraités imposables augmente de 0,4 point. L’assiette de la CSG taxant les revenus des salariés et des chômeurs passe de 95 % du salaire brut (ou de l’allocation chômage) à 97 %. Cet élargissement s’appliquera également à la CRDS... Le gouvernement aurait pu faire le choix d'un élargissement des prélèvements à l'ensemble des revenus financiers. Mais l’augmentation de 0,13 % à 0,16 % de la Contribution sociale de solidarité frappant le chiffre d’affaire (supérieur à 760 millions d’euros par an) des sociétés reste symbolique... tout comme les taxes frappant l’industrie pharmaceutique.
  • Augmentation du forfait hospitalier (cette part de dépense non remboursée était passée de 10,67 à 13 euros en septembre 2003, la loi prévoit de la porter à 14 euros, 15 euros, puis à 16 euros en 2007). Cette hausse induit un transfert de paiement vers les complémentaires qui couvrent ce forfait (avec pour effet une augmentation de cotisations) ou directement vers les usagers qui n’ont pas de complémentaire.
  • La création d'un forfait obligatoire par acte (1 euro non remboursable, sauf pour les enfants, femmes enceintes etc.).
  • L’article 32 du projet. Le but de cette aide aux complémentaires est de créer un filet de sécurité minimum (s’ajoutant à la CMU complémentaire) pour les personnes les plus démunies pour faire passer la pilule de l’augmentation des cotisations et primes des assurances complémentaires pour tous les autres. Cette aide est dérisoire, inacceptable et de toute façon aléatoire. Cette aide est dérisoire : 150 euros par an (12,50 euros par mois !) pour les personnes ne bénéficiant pas de la CMU et dont le revenu n’est pas supérieur à plus de 15 % du revenu ouvrant droit à la CMU, soit 647 euros aujourd’hui. Mais un dispositif avait déjà été mis en place permettant à tous ceux dont le revenu n’était pas supérieur à 12,7 % du revenu ouvrant droit à la CMU de percevoir une aide de 115 euros par mois. La modification que le gouvernement considère comme fondamentale ne porte donc que sur 35 euros par an, soit moins de 3 euros par mois ! Deux millions de personnes seraient concernées contre 1,6 millions aujourd’hui. Le problème est que, aujourd’hui sur ces 1,6 millions de personnes concernées, seulement 50 000 ont recours au dispositif tant l’aide concédée est dérisoire. Cette aide est inacceptable. Il s’agit d’allouer des fonds publics à des organismes privés. Ces fonds doivent revenir à l’assurance maladie obligatoire. Cette aide est de toute façon aléatoire. Il suffit pour s’en convaincre de constater le sort réservé par la droite aux prestations financées par l’impôt et sous condition de ressources : le RMI, l’Allocation Spécifique Solidarité, l’Aide Médical d’Etat....
  • Une réorganisation des structures de l'Assurance-Maladie. Pour une analyse critique de cet aspect de la réforme, voir la fiche rédigée par le syndicat Sud

4.1.07

UMP: le bilan (1)

En ce début d'année, petit rappel des méfaits du parti disposant de la majorité absolue à l'Assemblée Nationale depuis mai 2002.

Premier épisode: la réforme Fillon-Raffarin sur les retraites. En dépit d'un puissant mouvement social (forts taux de grève, 2 millions de manifestants le 13 mai 2003), la CFDT et la CGC capitulent en signant un "compromis" le 15 mai 2003. Guillaume Sarkozy, vice-président du Medef, a considéré ce "rapprochement de points de vue" entre gouvernement et "certaines centrales syndicales" comme une "bonne chose".

Pour comprendre cette réforme, il faut revenir aux années 90. La réforme Balladur (1993) avait modifié 4 aspects du régime général des retraites:

* Augmentation due nombre d'annuités nécessaire à l'obtention d'une retraite à taux plein (passant de 37.5 à 40).
* Revalorisation du salaire de référence en fonction de l'inflation, et non plus en fonction de la hausse générale des salaires
* Calcul du salaire de référence sur les 25 meilleures années, et non plus sur les 10 meilleures.
* Revalorisation des retraites en fonction des prix

Effet pour un salarié du privé (salaire moyen, donc non-cadre): la baisse du taux de remplacement brut global varie de 22 % (pour des salariés avec une durée de cotisation au moins égale à 40 ans) à un peu plus de 40 % (43 %) pour ceux qui ont des carrières incomplètes ne leur permettant pas d’obtenir une pension à taux plein.
Il s’agit là de la situation que connaîtraient des salariés pour lesquels les réformes des années 1990 s’appliqueraient pour l’intégralité de leur carrière. Dans la réalité, en raison de la mise en oeuvre progressive de ces réformes et compte tenu du fait que d’autres changements sont intervenus depuis avec la réforme Raffarin, la situation « réelle » que connaissent les salariés qui partent aujourd’hui en retraite est différente.

La réforme Fillon-Raffarin porte en effet le nombre d'annuités à 41 (en 2012) puis 42, voire 44, tant pour le régime général que pour celui des fonctionnaires (qui n'avait pas été concerné par la réforme Balladur).

Pour un salarié non-cadre: La réforme se traduit globalement par une légère amélioration pour les très faibles durées de cotisation (en raison de la réduction de la décote dans le régime général pour les carrières incomplètes), mais qui ne parvient pas à compenser les effets des réformes des années 1990. Pour les autres salariés, la réforme Raffarin confirme voire amplifie les effets à la baisse des réformes précédentes, sauf pour les très longues carrières qui bénéficient d’une légère amélioration en raison de l’introduction d’une « surcote » pour les salariés travaillant au delà de la durée légale, soit au delà de 42 ou 44 ans selon les hypothèses. Pour la très grande majorité des salariés, c’est donc un approfondissement de la baisse des taux de remplacement amorcée par les réformes des années 1990.
Cette dégradation s’accentue avec l’accord des régimes de retraite complémentaire de novembre 2003.
La baisse du niveau des pensions est importante à long terme : elle est maximale (- 40 %) pour les salariés ayant 39 ou 40 années de cotisation.

Globalement, si l’on compare la réglementation « Après Raffarin » à celle en vigueur avant les réformes des années1990 (situation « avant Balladur »), la baisse des taux de remplacement est importante quelle que soit la durée de cotisation (graphique 6 et graphique C en annexe). Cette baisse varie dans une fourchette de 28 % à 35 % et elle dépasse 30%dans une très large majorité de situations. La diminution de moitié de la décote pour carrière incomplète introduite par la réforme Raffarin permet de limiter cette baisse lorsque les salariés partent à 60 ans avec de très courtes carrières (moins de 35 ans). Mais l’effet de l’allongement de la durée de cotisation nécessaire pour percevoir une retraite à taux plein conjugué aux autres changements réglementaires l’emporte sur la baisse de la décote dans tous les autres cas, ce qui accentue la dégradation des taux de remplacement pour un départ à 60 ans. Dans ce cas, la baisse des taux de remplacement est de plus de 40 % pour des carrières comprises entre 36 ans et 41 ans et dépasse même 50 % pour les salariés ayant 38 ans de carrière.

Effets pour les cadres (salariés ayant effectué toute leur carrière avec un salaire égal à deux fois le salaire moyen): les proportions respectives de la pension de base et de celles accordées par les régimes complémentaires sont quasiment inversées par rapport au cas précédent : dans la situation « Avant
Balladur », la pension de base du régime général représente dans tous les cas moins de 40 % de la pension totale. Compte tenu de cette structure particulière des pensions pour les salariés cadres, les effets des réformes sont différents de ceux observés pour les salariés ayant effectué une carrière au salaire moyen.

Réforme Balladur: la baisse des taux de remplacement dans le régime général varie de 16 % à 44 % en fonction de la durée de cotisation. Elle est la plus importante – comprise entre 30 % et 44 % – pour des salariés ayant travaillé entre 34 et 38 ans. La baisse du taux de remplacement assuré par le total des pensions versées par les régimes complémentaires ARRCO et AGIRC apparaît plus importante, comprise entre 34 % et 44 %. Compte tenu du poids important des régimes complémentaires pour ces salariés cadres, la baisse du taux de remplacement global (pension de base plus pensions complémentaires) est plus importante que pour les salariés non cadres : elle s’échelonne de 29 % à 44 %. Elle est la plus forte – voisine ou supérieure à 40 % – pour les salariés ayant des durées de cotisation variant de 35 ans à 38 ans.

Les effets de la réforme Raffarin sont globalement assez voisins de ceux observés pour un salarié ayant perçu un salaire moyen : le taux de remplacement est légèrement plus élevé dans la simulation « après Raffarin » que dans celle « après Balladur » pour les salariés avec de faibles durées de cotisation (inférieures à 36 ans). Mais la prise en compte des accords conclus dans les régimes complémentaires en novembre 2003 fait plus qu’annuler cette hausse : dans tous les cas, la situation se dégrade plus ou moins fortement.

Pour les fonctionnaires, les effets de la réforme de 2003 sont plus simples à analyser. Quel que soit le niveau du salaire, la baisse du taux de remplacement est identique. Ceci traduit le fait que le régime de pensions des fonctionnaires repose sur un principe d’annuités : chaque année validée donne droit à une pension égale à un certain pourcentage de son « dernier » traitement.

A terme, pour tous les fonctionnaires ayant une durée de cotisation inférieure ou égale à 40 ans, la baisse du taux de remplacement sera d’environ 35 % lorsque la durée exigée pour percevoir une pension à taux plein sera de 44 ans. Pour des durées de carrière égales ou supérieures à 40 ans, cette baisse diminue progressivement.
Cette baisse des taux de remplacement sera évidemment plus faible pour les fonctionnaires qui poursuivent leur carrière jusqu’à la limite d’âge de leur corps, puisque les coefficients de minoration pour carrière incomplète ne s’appliquent plus.

L'alternative
Comme son nom l’indique, un régime par répartition se borne à redistribuer auprès des retraités les cotisations (salariales et patronales) versées par les entreprises au prorata de leur masse salariale. Son équilibre dépend donc de trois variables-clés :

- le taux de cotisation soit le rapport entre cotisations et masse salariale ;
- le taux de remplacement, soit le rapport moyen entre pension et salaire net ;
- le ratio de dépendance, soit le rapport entre nombre de retraités et nombre de salariés actifs.

Le ratio de dépendance augmente. Toute la politique patronale (relayée par l'UMP) consiste à geler le taux de cotisation, l'ajustement se fait donc par le taux de remplacement (au détriment des retraités... et des demandeurs d'emploi). POUR FAIRE FACE AUX BESOINS, EXIGEONS UNE HAUSSE DU TAUX DE COTISATION: IMPOSONS UNE AUTRE REPARTITION DE LA VALEUR AJOUTEE !

Source: "Retraites: Les scénarios de la réforme", Revue de l'IRES, n°44, 2004.