15.9.07

Des chiffres et des hommes

Lettre ouverte aux policiers syndicalistes

La chasse aux sans-papiers conduit à des situations humainement insupportables que leur conscience ne peut ignorer.
Par Brigitte Wieser et Richard Moyon, Membres du Réseau Education sans frontières.
(Libération, vendredi 14 septembre 2007)

Les consignes données aux services de police de faire du chiffre à tout prix en matière de chasse aux étrangers en situation irrégulière conduisent de plus en plus fréquemment à des situations humainement insupportables. Opérations massives et répétées dans les quartiers populaires et aux sorties de métro, contrôles d’identité au faciès (pudiquement couverts du terme d’extranéité), interpellation d’hommes et de femmes qui ne sont en rien des délinquants mais dont le tort est d’avoir cru trouver un avenir pour eux et surtout pour leurs enfants.

L’humiliation des menottes, de la fouille au corps, de la cellule crasseuse ; le coup de fil à la famille pour dire que papa ou maman ne rentrera pas ce soir… ni les suivants ; la prostration ou la rage, les tentatives de suicide, les automutilations ; les scènes de désespoir dans les avions, les coups, les passagers écœurés. Et maintenant les familles arrêtées à domicile, au petit matin, papa maman menottés devant les enfants, ou les grévistes de la faim arrêtés aux ­urgences des hôpitaux.

La question de l’immigration ne sera pas résolue de cette façon. Quand on a affaire à des milliers d’individus prêts à se jeter à mains nues sur les barbelés de Ceuta et de Melilla ou à s’embarquer sur des rafiots dont ils savent que presque la moitié n’iront pas au bout du voyage, la police française ne les arrêtera pas, et heureusement, parce qu’il y faudrait les moyens de la dictature ! Les chiffres annuels exigés des préfectures (125 000 mises en cause, 25 000 expulsions réparties en quotas départementaux, par exemple 45 pour l’Aisne, 60 pour la Marne, 111 pour les Ardennes, 75 pour la Somme, 3 680 pour Paris…) sont monstrueux dans leur formulation même. Ce délire planificateur n’est utile qu’à la gloire du ministre. Cela ­vaut-il de briser des vies par dizaines de milliers, de faire faire un sale boulot aux fonctionnaires, de leur faire expulser des gamins qui sont peut-être dans la classe de leurs propres enfants et de les faire passer pour des brutes en France et à l’étranger ?

Que peuvent penser les policiers quand, comme cela se produit régulièrement à Paris, des habitants (et pas des voyous !) se rassemblent pour prévenir les étrangers, saboter les rafles et parfois les contraindre à partir sous les huées ? Quand, comme à Amiens, un enfant de 12 ans prend le risque de se tuer en tombant du quatrième étage plutôt que d’avoir affaire à la police française ? Quand des enfants, ceux des sans-papiers mais aussi leurs copains de classe, ont la peur au ventre lorsqu’ils croisent un uniforme ? Quand leur action conduit une jeune femme de 22 ans à être incarcérée pendant que son mari se cache et que son enfant de 2 ans est confié à l’aide sociale à l’en­fance ? Quand on leur demande de procéder à des expulsions en moins de quarante-huit heures pour échapper au contrôle du juge des libertés et de la détention ? Quand, comme cela s’est produit en Guinée, des voyageurs croient se venger en molestant des policiers de la PAF ?

Nous ne pouvons pas croire que cela ne pose pas de vrais problèmes de conscience à un grand nombre de policiers. Nous le savons, en réalité, à le lire dans les yeux des gendarmes qui, dans les en­ceintes des tribunaux administratifs, voient des enfants arrachés aux bras de leur père maintenu en rétention, par le récit de sans-papiers qu’un policier humain a laissé filer, par ce que nous disent discrètement des policiers bien plus nombreux qu’on ne croit, parfois très gradés.

Les policiers ont, comme tout le monde, le droit (le devoir !) de s’interroger sur les missions qu’on leur confie. La traque des étrangers, les contrôles au faciès, la chasse aux enfants, aux nourrissons et aux amoureux, le démantèlement des familles : tout ce qu’on leur impose pour la gloriole d’un communiqué satisfait n’est pas acceptable. Il ne s’agit pas de rendre les policiers responsables de décisions politiques prises par d’autres. Mais que leurs syndicats fassent entendre leur voix pour dire que la coupe est pleine. Qu’on ne fera pas faire n’importe quoi aux fonctionnaires, et qu’au-dessus de lois de circonstances et de la démagogie existent des valeurs au service desquelles ils devraient être.

6.9.07

Psychanalyse sociale-libérale

La phrase du jour, on la doit à Pierre Moscovici

In-
dé-
nia-
ble-
ment.



Au moment où l'ancien ministre "socialiste" Hubert Védrine remet à Nicolas Sarkozy un rapport soulignant l'urgence de rompre avec une "méfiance stérile" vis-à-vis de la mondialisation, Pierre Moscovici - député et secrétaire national du PS aux relations internationales - lâche:
"Nous nous sommes laissés dominer par notre sur-moi gauchiste".

Relisez bien cette phrase, admirez le vocabulaire employé, savourez le style...
Le style seulement, parce que sur le fond, Moscovici s'est déjà fait doubler. Par Ségolène Royal qui estimait en juin dernier avoir perdu la Présidentielle parce qu'une proposition du programme du PS n'était "pas crédible".
Quelle proposition? Tout le pouvoir aux soviets? Non, il s'agissait seulement de porter (en cinq ans) le SMIC à 1500 euros... brut. Au rythme actuel de l'inflation, le SMIC sera automatiquement porté à ce niveau en 2012. La proposition incriminée visait donc à maintenir le pouvoir d'achat des 18% de salariés percevant le SMIC... et réserver par conséquent 100% des gains de productivité de ces salariés pour les profit ou l'investissement. Bref, une vraie proposition de droite jugée gauchiste par la candidate "socialiste"...

A propos du "sur-moi gauchiste"...
Pierre Moscovici est le fils d'une psychanalyste et d'un célèbre psychologue social.
En 1984, Moscovici quittait la LCR.
En février 1994, il publiait un bouquin intitulé A la recherche de la gauche perdue.
Le député "socialiste" cherche encore...

Délinquants en cols blancs

On apprend aujourd'hui par l'AFP qu'à l'occasion d'une exposition sur le bicentenaire du code de commerce au tribunal de commerce de Paris, "le chef de l'Etat a soulevé les applaudissements d'un parterre de chefs d'entreprises conduit par Laurence Parisot, présidente du Medef, en répondant favorablement à plusieurs de leurs demandes-clefs." L'explication de cette explosion de joie tient en 3 points.

1/ D'abord il a annoncé un projet de loi pour étendre la procédure de "sauvegarde" des entreprises, créée en 2005, et qui permet aux sociétés en difficulté de suspendre leurs paiements à leurs fournisseurs et leurs créanciers. Bref, les "capitaines d'industrie" et autres chevaliers capitalistes veulent prendre le moins de risque possible...

2/ Ensuite, le chef de l'Etat a répété qu'il allait limiter les poursuites pénales contre les sociétés et a précisé que Rachida Dati avait créé un groupe de travail à ce sujet.
"Ma présence en ce tribunal est l'occasion de répéter que la pénalisation à outrance de notre droit des affaires est une grave erreur, je veux y mettre un terme", a-t-il dit, répétant les mots d'un discours controversé au Medef vendredi dernier.
Cette annonce a suscité une levée de boucliers des syndicats de magistrats, qui craignent un enterrement des "affaires". L'ancienne juge d'instruction Eva Joly s'est exprimée mardi pour rappeler que la délinquance financière portait préjudice à la vie économique du pays, par les fonds détournés. "C'est un extraordinaire et étrange choix que de choisir de soutenir les délinquants contre les victimes", a-t-elle dit.

La position de Sarkozy est simple: "Comment comprendre que dans les cas qui ne mettent en cause que des intérêts privés et pécuniaires, il puisse encore être fait recours au droit pénal ?", a-t-il dit. Parce que la corruption et les abus de biens sociaux ça ne nuit pas à l'intérêt public peut-être?!

3/ "Enfin, Nicolas Sarkozy a implicitement écarté toute réforme des tribunaux de commerce, institution très critiquée. Composée de commerçants et d'industriels élus par leurs pairs pour régler les faillites et cessions, elle est souvent accusée de traiter les dossiers en fonction d'intérêts privés.
Une réforme introduisant des magistrats professionnels dans ces juridictions avait été envisagée sous la gauche en 1998, puis abandonnée après de vives protestations du corps."

Le plus affligeant c'est l'argumentation du Président: "Vous êtes des chefs d'entreprises et des cadres dirigeants, pragmatiques et efficaces, je me sens donc en confiance avec vous. (...) Les comportements d'une infime minorité ont été présentés comme la règle. Vous avez su vous réformer et placer l'éthique au coeur de votre fonction".