31.3.07

Sarkozy et l'histoire


Les usages de l'histoire dans le discours public de Nicolas Sarkozy par Gérard Noiriel (EHESS)

Dans le discours qu'il a tenu à Poitiers le 26 janvier dernier, le candidat de l'UMP à l'élection présidentielle s'est présenté comme l'héritier de Jean Jaurès et de Léon Blum. Cette « captation d'héritage » est une bonne illustration des formes que prennent les usages publics de l'histoire dans la France d'aujourd'hui. Le problème n'est pas tant que les politiques puissent « récupérer » les héros du passé pour tenter de grandir leur stature de présidentiable. Ce phénomène n'est pas nouveau. Il est même constitutif de la mémoire politique. Dans ce type de compétition, en effet, les candidats ne peuvent espérer l'emporter que s'ils glanent des voix au-delà de leur propre camp, ce qui les incite à parler au nom de la nation toute entière en cherchant des références historiques consensuelles.

Jaurès plutôt que de Gaulle

Ce qui est inédit (à ma connaissance), c'est le fait que le leader de la droite ait pu se présenter publiquement comme l'héritier des chefs historiques de la gauche. Pour comprendre la fonction de ces références, il faut lire de près le discours de Poitiers. Ce qui frappe, c'est d'abord la faible place accordée à la Révolution française. Alors que jusqu'à une période récente, tout homme politique cherchant à présenter sa candidature comme un moment historique pour la Nation se situait dans le prolongement de cet événement fondateur, celui-ci n'est mentionné ici qu'une seule fois et encore, est-ce par le biais d'une citation de Napoléon Ier évoquant «l'achèvement de la Révolution ». Ensuite, ce qui étonne dans les références/révérences du discours de Poitiers, c'est la marginalisation du général de Gaulle, qui était pourtant la figure centrale des récits mémoriels de la droite dont l'UMP est l'héritière. Certes, le général est présent dans la galerie des glorieux ancêtres dont se réclame le candidat, mais il n'est cité que 3 fois, alors que Jean Jaurès est cité 7 fois !

Je ferai l'hypothèse que ce nouveau système de références historiques illustre les contraintes auxquelles les professionnels de la politique sont confrontés aujourd'hui, dans un monde où la « démocratie de partis » a cédé la place à la « démocratie du public » (pour reprendre les formulations du philosophe Bernard Manin). Soumis à la loi des sondages et des médias, le candidat à la présidentielle ne cherche plus à se situer dans le prolongement d'une tradition politique précise. Il n'a plus besoin de conforter la mémoire et l'identité collectives de son propre camp, en rappelant les luttes héroïques menées autrefois par les « camarades » ou les « compagnons », ce qui était auparavant indispensable pour mobiliser ses troupes en vue du combat politique à venir. Ce qui compte, désormais,c'est de peaufiner une image, en fonction des directives données par les conseillers en communication qui font partie du « staff » de campagne.

Mais ces conseillers, mauvais sociologues, ont commis une erreur dans la phase de « pré-campagne », en incitant leur chef à durcir son discours sécuritaire avec des mots comme « racaille », que l'ensemble des jeunes des classes populaires ont ressenti comme une insulte. Le candidat de la droite doit donc « recentrer » son profil (« j'ai changé ») et faire dans le « social » en se présentant comme l'héritier de la gauche.

Remarques sur la logique symbolique de panthéonisation des hommes politiques

Pour approfondir l'analyse sur l'usage de l'histoire de France dans ce discours, je dirais qu'il illustre la logique symbolique de la « panthéonisation ». Le candidat consacre les grands personnages qui ontpour fonction de le consacrer.
[...]
Ce discours mémoriel a donc pour première fonction de convaincre le grand public que le candidat de l'UMP est le digne héritier de ces héros nationaux. Mais il a aussi pour but de fabriquer un consensus occultant les rapports de pouvoir et les luttes sociales. Le discours de Poitiers est une sorte de Disneyland de l'histoire dans lequel il n'y a que des gentils, des hommes bons. La « captation d'héritage » est aussi un détournement destiné à occulter le fait que les leaders du mouvement ouvrier, comme Jaurès et Blum, ont été avant tout des militants, au coeur des combats politiques de leur temps. Le candidat de l'UMP n'hésite pas à faire référence au Front Populaire : « J'ai cité Léon Blum parce que je me sens l'héritier de l'enfant qui en 1936 grâce aux congés payés jette sur la mer son premier regard émerveillé et entend prononcer pour la première fois le mot « vacances ».

Ce qui est suggéré dans cette citation, c'est que le leader de la SFIO et le chef du gouvernement du Front Populaire aurait « donné » deux semaines de congés payés aux ouvriers parce que c'était un homme bon et humain, qui voulait que les travailleurs voient la mer. Le fait historique qui est totalement oublié ici, c'est que les congés payés ont été un acquis du formidable mouvement de grèves de mai-juin 1936. C'est le résultat de la lutte des classes et d'une mobilisation sans précédent des ouvriers contre le patronat. Mais évidemment ce fait historique là, le candidat des milieux d'affaire est obligé de le passer sous silence puisque, dans le même discours, il dénonce explicitement « ceux qui attisent encore la lutte des classes ». Il faut reconnaître que les assistants qui ont écrit le discours du candidat ne manquent pas d'imagination. Dans leur récit, Georges Clemenceau, le ministre de l'Intérieur qui a envoyé la troupe contre les grévistes en 1907-1908, cohabite pacifiquement avec son plus farouche adversaire politique, Jean Jaurès, le directeur de l'Humanité, qui dénonçait le « premier flic de France » et le « briseur de grèves ».

L'anti-repentance et ses contradictions

Je voudrais m'arrêter un peu plus longuement sur un autre usage del'histoire qu'illustre le discours de Poitiers. Il concerne le thème del'anti-repentance. Le candidat à la présidentielle écrit en effet : « Je veux dire à tous les Français que nous sommes les héritiers d'une seule et même histoire dont nous avons toutes les raisons d'être fiers. Si on aime la France, on doit assumer son histoire et celle de tous les Français quiont fait de la France une grande nation ». Ce propos doit être relié à celui qu'il avait tenu peu de temps auparavant (14 janvier 2007) : "Au bout du chemin de la repentance et de la détestation de soi, il y a, ne nous trompons pas, le communautarisme et la loi des tribus".

Nous voyons là s'esquisser un thème de campagne que le candidat de la droite cherche à utiliser pour discréditer le camp d'en face, en affirmant: « Ce que je sais, c'est que la gauche qui proclame que l'Ancien régime ce n'est pas la France, que les Croisades ce n'est pas la France, que la chrétienté ce n'est pas la France, que la droite ce n'est pas la France. Cette gauche là je l'ai accusée, je l'accuse de nouveau de communautarisme historique ».

Ce passage est particulièrement intéressant à décrypter si l'on veut comprendre comment les politiciens utilisent aujourd'hui l'histoire dansleur propagande et les contradictions auxquelles ils se heurtent (ou risquent de se heurter). Tout d'abord, on constate que l'anti-repentance est l'une des principales grilles de lecture qu'utilise le candidat pour «repenser » l'histoire de France. Par exemple, dans le passage où sont évoquées les persécutions dont ont été victimes Léon Blum et Georges Mandel, il n'y a pas un seul mot pour souligner les responsabilités du régime de Vichy et de la milice. Les seuls coupables explicitement désignés, ce sont les agents de la Gestapo ! Finis les discours sur les mauvais Français et sur la responsabilité de l'Etat français. On a le sentiment d'en revenir à une histoire pré-paxtonienne (et aussipré-chiraquienne) de Vichy.

C'est aussi la logique de l'anti-repentance qui conduit le candidat non pas à ignorer la colonisation, mais bel et bien à l'assumer. Le discours de Poitiers revient, d'une manière indirecte, à l'affirmation du « bilan positif » de la colonisation (même si le mot n'est jamais employé), en affirmant que nous devons être fiers des croisades et en plaçant le maréchal Lyautey au coeur d'un Panthéon dans lequel ne figurent aucun Français issu de l'immigration ou des peuples colonisés.

Une autre lacune montre clairement où mène le discours anti-repentance. C'est l'absence totale des figures féminines dans la galerie des hérosdont se réclame le candidat de l'UMP. Nous avons ici une illustration limpide des analyses de Michèle Riot-Sarcey sur l'absence des femmes dans la mémoire des hommes politiques de ce pays. Au-delà de l'effet anti-repentance, on peut penser que, dans le contexte de la présidentielle 2007, le candidat UMP a jugé stratégiquement préférable de souligner les attributs virils de Marianne.

Un nouveau concept : le « communautarisme historique »

Dans le passage consacré à l'anti-repentance, on constate aussi que lecandidat UMP a forgé un nouveau « concept », inconnu jusqu'ici des historiens, celui de « communautarisme historique ». Je doute qu'il laisse sa marque dans l'histoire de la pensée, mais ce n'était pas le but visépar son auteur. Il s'agissait de marquer l'opinion, en utilisant des formules choc. Il faut se souvenir, en effet, que dans un monde dominé parles sondages, ce ne sont pas les arguments rationnels qui comptent, mais les formules permettant de conforter le sens commun en jouant sur des réflexes et des associations d'idées. La mise en équivalence entre gauche et communautarisme se fait ici grâce à toute une série d'amalgames dont lafonction principale est d'imposer l'idée que la gauche représente l'anti-France. Ce type de rhétorique n'est pas vraiment nouveau, lui non plus. A partir du moment où l'un des deux camps du champ politique seprésente comme le représentant de la France toute entière, par définition le camp adverse doit être assimilé à l'anti-France.

Dans le langage polémique actuel, les ennemis de la République et de la France, ce sont les « communautaristes ». Ce terme ne désigne plus rien deprécis et fonctionne comme une insulte ou un stigmate très efficace pour discréditer des concurrents. Le simple fait de rappeler que la politique est toujours un enjeu de luttes, qu'elle est fondée sur des rapports deforce ; le simple fait de rattacher un programme politique à la tradition de pensée dont il est issu, peut donc désormais être vu comme un délit de« communautarisme historique ».

En utilisant ce type d'anathème pour discréditer ses adversairespolitiques, le candidat de l'UMP persiste dans la même rhétorique que celle qu'il avait déjà mobilisée lors des violences de novembre 2005.Parler de « communautarisme historique » pour disqualifier ceux qui défendent la posture de la repentance, c'est la même chose que dénoncer la « racaille » dans les conflits sociaux. C'est utiliser des références propres à un domaine, pour les plaquer sur un autre. Dans les deux cas, il s'agit de criminaliser des points de vue concurrents pour mieux les discréditer.

Le candidat fait beaucoup d'efforts pour persuader les citoyens qu'il a changé depuis novembre 2005. Mais sa manière d'argumenter montre le contraire. Au-delà de la personne elle-même, ces constantes s'expliquent par les contraintes qui pèsent aujourd'hui sur l'action politique. Pour mobiliser son électorat, le candidat de la droite doit utiliser unvocabulaire et des références que j'appelle national-sécuritaires. Dans le discours de Poitiers, on voit parfaitement le lien entre la dénonciation de la repentance et la stigmatisation de l'immigration. Comme j'ai tenté de le montrer dans un livre à paraître (1), depuis les débuts de la IIIe République, le discours de la droite républicaine sur l'immigration reproduit toujours la même argumentation. On la retrouve intégralement dans le discours de Poitiers. Le candidat de l'UMP commence par rappeler son attachement aux « droits de l'homme ». Ensuite, la « chasse aux clandestins » est présentée comme une mesure destinée à défendre les immigrés eux-mêmes contre « les marchands de sommeil et des passeurs sans scrupule qui n'hésitent pas à mettre en danger la vie des pauvres malheureux dont ils exploitent la détresse ». Enfin, nous arrivons au coeur du propos, qui énumère la longue litanie des stéréotypes du moment sur les immigrants, visant à dénoncer ceux « qui ne respectent pas nos valeurs » ; « ceux qui veulent soumettre leur femme, ceux qui veulent pratiquer la polygamie, l'excision ou le mariage forcé, ceux qui veulent imposer à leurs soeurs la loi des grands frères, ceux qui ne veulent pas que leur femme s'habille comme elle le souhaite ».

Ce discours national-sécuritaire a pour fonction de mobiliser l'électorat clairement positionné à droite, mais il ne permet pas d'imposer l'image du rassembleur « qui a changé ». C'est la raison pour laquelle, il fallait procéder à une sorte de provocation mémorielle, en se référant à Jaurès et à Blum, pour alimenter la chronique politique sur le thème du « changement ».

(1): Gérard Noiriel, Immigration, antisémitisme et racisme en France(XIXe-XXe siècle), Paris, Fayard, mars 2007.

17.3.07

UMP: le bilan (5)

Nous serons bientôt le 20 mars 2007. Triste anniversaire que celui des 4 ans d'occupation de l'Irak par les troupes impérialistes.
S'il est un point positif, un seul, dans le bilan de Chirac, c'est d'avoir refusé de participer à l'agression contre l'Irak. Or, sur le plan des relations internationales, Sarkozy semble désireux de balayer l'héritage gaulliste.


Episode1
. Lors de son voyage à Washington, le 12 septembre dernier, pour une rencontre avec George Bush, Sarkozy avait déclaré que la France n'était "pas exempte de reproches" dans sa relation avec les Etats-Unis. Devant la French American Foundation, il a dénoncé "l'arrogance française" (allusion transparente à Chirac-Villepin) et a même fait preuve de son allégeance vis-à-vis de la puissance dominante: "Il n'est pas convenable de chercher à mettre ses alliés dans l'embarras ou de donner l'impression de se réjouir de leurs difficultés" . Avec Sarkozy cela ne risque pas d'arriver: "Plus jamais nous ne devons faire de nos désaccords une crise". Cette dernière phrase est extrêmement claire.

Chirac n'a pas tardé à réagir. "Irresponsable", "Lamentable" a-t-il lâché en privé (Libération, 18 sept. 2006). Pour une fois, on ne le contredira pas.

Episode 2. Toujours à l'automne 2006, Sarkozy accorde un entretien à la revue néo-conservatrice Le Meilleur des Mondes. J'écris néo-conservatrice parce que ses collaborateurs (Glucksman, Bruckner & Cie) sont tous des laquais de l'impérialisme américain ayant défendu l'invasion de l'Afghanistan et de l'Irak. En outre, la revue est soutenue par la Foundation for the Defense of Democracies. Ce think tank compte dans ses rangs de nombreux amis d'Ariel Sharon, l'ex-directeur de la CIA James Woolsey, et quelques piliers du mouvement "neo-cons" (Bill Kristol, Richard Perle etc.).

Se souvenant sans doute des critiques suscitées par ses propos de septembre, Sarkozy est ici un peu plus prudent. Il admet qu'on a le droit d'avoir des désaccords avec la politique des USA (merci!). Mais quand même. "Nous partageons les mêmes valeurs, nous sommes riverains du même océan, ils sont la première puissance économique, militaire et monétaire. Nos enfants rêvent de la musique américaine et des films américains". En fait, tout cela ne contredit pas les propos tenus à Washington. Rappelons-nous: des "désaccords" oui, une "crise" non (enfin, une crise à l'ONU: l'opposition de Chirac à Bush s'arrête là...). Les centaines de milliers de victimes, les bombes au phosphore, la torture: pour Sarkozy, cela ne vaut pas une "crise" avec la puissance dominante. Nous "partageons les mêmes valeurs", nous avons juste quelques désaccords qui ne prêtent pas à conséquence.

En outre, Sarkozy rappelle avec fierté: « Mon premier voyage comme président de l’UMP était en Israël pour rencontrer Sharon ». Cet empressement à serrer la paluche d'un criminel de guerre... Non, vraiment pas de quoi être fier.

Episode 3.
Hiver 2006-2007. L'élection se rapproche. Ca y est Sarkozy le promet: il peut dire "non" à l'administration américaine et considère l'invasion de l'Irak comme "une erreur". Vous y croyez, vous?
D'ailleurs il laisse encore échapper quelques affirmations inquiétantes. Dans un entretien accordé en mars 2007 au mensuel Défense et Sécurité Internationale, Sarkozy affirme: "Parce que notre sécurité se joue de plus en plus loin de nos frontières, nous devons par ailleurs être attentifs à la consolidation de nos capacités de projection et de frappe dans la profondeur". La France est une nation impérialiste. Elle doit pouvoir frapper partout. Il en va de sa sécurité... Ca ne vous rappelle pas la rhétorique d'un certain Texan qui parle à Dieu?
L'idée semble importante pour Sarkozy puisqu'il y revient dans le même entretien: "des besoins capacitaires ne sont pas aujourd’hui suffisamment pris en compte, en particulier la frappe dans la profondeur".

14.3.07

UMP: le bilan (4)

Sarkozy se gargarise actuellement avec "l'identité nationale". Il prétend ainsi couper l'herbe sous le pied du FN. En réalité, il vise à rallier ses électeurs pour le second tour. Cette méthode consistant à débattre sur les terres du FN (mêmes thématiques, mêmes mots), cette méthode qu'il a appliquée durant tout le quinquennat, a de graves conséquences: les idées racistes progressent. Sarkozy prendra quelques électeurs à Le Pen, mais grâce au premier les idées du second gagnent du terrain.

1/ Racisme

Décembre 2005. Le sondage CSA, réalisé depuis dix ans pour la Commission nationale consultative des droits de l'homme (CNCDH) sur la xénophobie, montre une hausse spectaculaire du nombre de personnes se disant racistes. Un Français sur trois déclare que "personnellement, il dirait de lui-même qu'il est raciste" (+ 8 points par rapport à 2004). "La parole raciste s'est libérée", relève une note d'analyse confidentielle de cette instance placée auprès du premier ministre. (Le Monde, 17-12-05).

Tous les indicateurs de cette étude vont dans le même sens. 56 % des sondés (+ 18 points) estiment que le nombre d'étrangers est "trop important" et pose un problème pour l'emploi. 18 % lient cette question à l'insécurité.
Cette radicalisation est aussi marquée dans les réponses sur les immigrés : 55 % jugent leur nombre trop important (+ 9 points). Le nombre des Français qui considèrent que les travailleurs immigrés "sont en France chez eux puisqu'ils contribuent à l'économie française" baisse de 11 points.

"On assiste à une radicalisation ethnocentriste due au fait qu'une partie de l'UMP a ethnicisé la question sociale", estime Stéphane Rozès, directeur général de l'institut CSA. "Ce glissement est certes un résultat direct des émeutes, avec un réflexe d'ordre, mais aussi la conséquence des discours du gouvernement et de la droite, qui ont multiplié les propos provocateurs et stigmatisant les étrangers", assure une figure de la défense des libertés.

2/ La responsabilité de l'UMP

Les rengaines sur "l'immigration choisie" et "l'identité nationale" n'y sont pas pour rien.
"C'est un hommage permanent", ironise Le Pen. S'appuyant sur la crise des banlieues, de nombreux députés UMP n'ont pas hésité à tomber le masque pour se retrouver sur des positions estampillées FN. Ainsi Jacques Myard, proche de Charles Pasqua, a-t-il exigé la création de "bataillons disciplinaires" pour mettre au pas "ces jeunes, Français malgré eux, issus de l'immigration arabo-africaine". Le député UMP des Yvelines a également demandé une réforme de l'ordonnance de 1945 afin de pouvoir expulser sans délai les étrangers condamnés lors des émeutes. Un discours aux relents lepénistes encouragé par Nicolas Sarkozy et loin d'être isolé parmi les députés de la majorité. En témoigne cette réunion du groupe UMP qui s'est tenue à l'Assemblée nationale mardi 8 novembre 2005, au lendemain de l'instauration du couvre-feu.

Le fond de l'air est sécuritaire et implicitement raciste. Très rares sont les élus UMP qui osent alors parler de mixité sociale et de discrimination raciale. Présent à la réunion, Nicolas Sarkozy reçoit une ovation de la part des parlementaires. La voilà enfin, cette "droite décomplexée" dont le ministre d'Etat avait tant rêvé. Une droite prête à défendre les thèses les plus improbables, comme l'a fait Bernard Accoyer, patron des députés UMP, en établissant un lien direct entre la polygamie et les violences en banlieue.
Dominique de Villepin a beau mettre sa majorité en garde contre les "amalgames", la parole de droite s'est libérée du carcan républicain comme par enchantement. "Au groupe, les fachos ont pris le pouvoir", se désole un haut dirigeant chiraquien. "Je n'ai jamais vu un groupe aussi à droite, poursuit-il. On a un paquet d'extrémistes, surtout parmi ceux qui sont élus dans les campagnes." La palme revient sans conteste à Jean-Paul Garraud, élu de Gironde, qui veut sanctionner "les délinquants qui cherchent, par des objectifs précis, à détruire la nation française". Dans un communiqué daté du 9 novembre, cet ancien magistrat reprend mot pour mot une proposition du FN : "Il est nécessaire de donner la possibilité aux tribunaux de déchoir de la nationalité française les étrangers qui l'ont acquise, si leur culpabilité est reconnue." Quelques jours plus tôt, dans une "Lettre ouverte aux angéliques et aux donneurs de leçons", une trentaine de députés UMP justifiait ainsi la politique de Sarkozy : "Nous avons confiance dans le bon sens de nos compatriotes qui ont compris depuis 2002 que les victimes valaient mieux que leurs bourreaux." S'appuyant sur le "bon sens" qu'ils prêtent aux Français, les mêmes aboutissent à des raccourcis saisissants, affirmant, par exemple, que "la police de proximité version Jospin-Vaillant a mené Jean-Marie Le Pen au deuxième tour en 2002".
Egalement signataire de cette lettre, Edouard Courtial a fait circuler un autre texte parmi ses collègues. Ce député UMP de l'Oise y réclame la suspension des allocations familiales pour les parents de délinquants et le rétablissement d'un service national obligatoire sous le contrôle de l'armée. Avec toujours la même justification : "Si on n'a pas envie que Le Pen fasse 50 % des voix, il faut être capable de parler de la réalité avec des mots simples." Plus réservé, Laurent Wauquiez traduit le sentiment majoritaire au sein de l'UMP : "Durant des années, on a subi la dictature du politiquement correct. Et là, on prend le retour de bâton." Comme ses collègues, le député de Haute-Loire constate une "radicalisation très claire" de son électorat, qui explique des dérapages des élus UMP.
L'objectif affiché vise à rabattre les cinq millions d'électeurs lepénistes dans le giron de la droite. Une stratégie ouvertement assumée par Sarkozy. Cet été, plusieurs associations avaient déjà tiré la sonnette d'alarme après une déclaration du ministre d'Etat : "Quand on vit en France (...), on aime la France, si on n'aime pas la France (...), personne ne vous oblige à rester." Soit une copie quasi parfaite du slogan lepéniste : "La France, aimez-la ou quittez-la"... Mais là où les associations dénoncent "une nouvelle passerelle xénophobe préélectorale", les sarkozystes ne voient qu'une droite retrouvant le chemin du peuple.
(avec des extraits de Libération du 21/12/05)