1.7.06

Nous ne réclamons nulle "indulgence"

Dans une tribune publiée dans Le Monde (28/06/06), François Fillon réclame "Zéro tolérance pour l'extrême-gauche!", adaptant ainsi le slogan de son maître Sarkozy. La notion de délinquance politique n'est pas loin...

Fillon "rêve d'un face-à-face décapant, transparent et constructif entre les deux formations qui sont susceptibles de gouverner la France : l'UMP et le PS". Et accuse François Hollande de "caresser dans le sens du poil les idées de l'extrême gauche", en l'occurence celles de la LCR lors de l'émission "A vous de juger" (sur France 2, 8 juin 2006).

En dehors du bipartisme, point de salut. On ne discute pas avec l'extrême gauche. Les arguments de l'ancien Ministre sont simples: "l'extrême gauche défend des idées insensées qui, si elles étaient appliquées, couleraient la France". Mais le lecteur qui se demande EN QUOI sont-elles insensées ne trouve aucune analyse de la part de Fillon. Son opinion est assénée comme une évidence. Au moins a-t-il le mérite de citer ses adversaires:

"Il faut examiner de près ce qui se dit et s'écrit à la LCR. A l'occasion de son 15e congrès, ce qui fut débattu et adopté mérite d'être pris au sérieux et non de façon badine : "La gauche anticapitaliste et révolutionnaire défendra une perspective de rupture avec l'économie et les institutions capitalistes..." Elle préconisera "l'appropriation sociale des principaux secteurs de l'économie, de l'auto-organisation et de l'action directe des travailleurs pour instaurer une démocratie socialiste..." Voilà ce que veut le parti politique que François Hollande aimerait pouvoir traiter en allié ! Face à de telles propositions, l'indulgence n'est pas acceptable."

Voici donc l'inacceptable: l'appropriation sociale, l'auto-organisation des travailleurs, la démocratie socialiste, la rupture avec les institutions capitalistes! Pour une fois, Fillon est honnête. Lui qui a mis a mal le système de retraite par répartition en affirmant le sauver (2003), lui qui a aggravé les inégalités scolaires en prétendant les résorber (2005), est amené à diffuser le programme de l'extrême gauche!

Pour quelle raison? Fillon a un message très clair à faire passer: "La droite républicaine a besoin d'une gauche moderne". La bourgeoisie a besoin de deux partis. En fonction de la situation sociale, l'un ou l'autre, le parti de choc ou le parti du compromis, saura préserver les intérêts de la bourgeoisie. A condition que la situation sociale n'excède pas certaines limites... A condition que l'on oublie ces histoires de rupture, d'auto-organisation et d'appropriation sociale. Pour marginaliser ces idées, il faut, nous dit Fillon, que le PS suive la voie du SPD allemand qui "a tranché en 1959, en se prononçant une fois pour toutes en faveur de l'économie de marché", et du Labour anglais qui "s'est approprié les réformes de Margaret Thatcher..." Les militants PS trouveront peut-être incongrus ces conseils émanant du "conseiller politique de l'UMP" qui se présente comme le meilleur artisan de la droite ("De Chirac on ne se souviendra de rien, sauf de mes réformes").

Mais cet élan de franchise ne saurait perdurer. L'article contient aussi une grossière mystification :

"Il est temps de dire que ce parti [la LCR] méprise la démocratie, que son bagage culturel et historique s'est avéré désastreux sur le plan social, et meurtrier pour des peuples entiers. J'aimerais qu'on m'explique en quoi le trotskisme mérite d'être respecté ! "

La "démocratie socialiste" c'est donc... le "mépris de la démocratie"? Facile à démontrer si on assimile le meurtre de "peuples entiers" au trotskysme! Admirez la juxtaposition des deux phrases et l'ambiguité qui en résulte.
Titulaire d'un DEA en Sciences Politiques, membre de la Commission des affaires culturelles du Sénat, Fillon n'ignore pas, ne peut pas ignorer, que le trotskysme est né d'une opposition au stalinisme et que nombre de militants l'ont payé de leur vie (à commencer par Trotsky). Il sait aussi qu'aucun parti affilié à la IVè internationale n'a exercé le pouvoir. Fillon poursuit sa manipulation: "Pour un pays comme le nôtre qui, semble-t-il, est sourcilleux en matière de mémoire historique, j'estime qu'il y a de la négligence à ne pas traiter l'extrême gauche comme elle devrait l'être : c'est-à-dire avec fermeté". A QUELLE "mémoire historique" fait-il allusion? A la mémoire des militants trotskystes déportés par les nazis? Fillon est une ordure.
Le peuple de gauche étant de plus en plus rétif à l'idéologie dominante, comme en témoignent les derniers mouvements sociaux, on ne peut le convaincre qu'en posant un ultimatum: le marché ou la barbarie? Quitte à falsifier l'histoire... en évoquant "une extrême gauche qui abhorre l'économie de marché et qui s'inspire d'une idéologie qui a enfanté la terreur et la misère".

Pour assoir sa légitimité de donneur de leçons, Fillon ose même écrire: "Pendant plus de vingt ans, la droite républicaine a suffisamment combattu l'extrême droite pour exiger aujourd'hui de la gauche qu'elle en fasse de même avec ses extrêmes ! "

Le parrallèle entre "les extrêmes" est inacceptable. Le combat antifasciste de la "droite républicaine" est une mascarade. Rappelons qu'en 1991, Giscard d'Estaing reprenait les thèses du FN, en affirmant que "le type de problème" auquel se trouve confrontée la France "se déplace de celui de l'immigration vers celui de l'invasion" (Figaro magazine, 22 septembre 1991). L'ancien Président de la République réclamait au passage que soit instauré le droit du sang : une proposition qui n'avait été formulée ouvertement antérieurement que par... les groupuscules néo-nazis, et qui va ainsi pouvoir être reprise par M. Mégret dans ses cinquante propositions, le 16 novembre 1991 (parmi les autres exigences, on remarque l'insistance concernant l'abrogation des lois Pleven et Gayssot relatives au négationnisme). La même année, M. Chirac se lamente sur "le bruit et l'odeur"... Et M. Longuet, ancien membre du groupe fasciste Occident passé à la "droite républicaine", propose d'appliquer la "préférence nationale" aux versements du RMI.

Longuet est loin d'être le seul à être passé par l'extrême-droite. Les députés UMP Madelin, Guillet et Novelli, l'actuel ministre délégué à l'industrie et conseiller de Sarkozy, Patrick Devedjian, étaient aussi membres d'Occident. Le député (UMP) Bernard Carayonle avait fondé le GUD (Groupe union droit). L'actuel secrétaire d'Etat à l'aménagement du territoire, Frédéric de Saint-Sernin, appartenait au GAJ (Groupe action jeunesse). Sans parler d'Anne Méaux, ancienne attachée de presse de Valéry Giscard d'Estaing et patronne d'Image 7, l'agence de communication du gotha de la politique et des affaires... Aujourd'hui, ils ne regrettent rien. M. Goasguen, (UMP): "je n'ai aucune honte, je n'ai rien fait de délictueux.". Il s'agissait juste de bannir le "suffrage universel", les "métèques" et les "bolchéviques"... Mieux: combattre les "judéo-bolchéviques". Longuet: "J'assume avoir été d'extrême droite" (cités dans Le Monde 13/02/05).

Ici, point de tolérance zéro. Mais "l'indulgence" de la "droite républicaine" envers l'extrême-droite va bien plus loin. Lorsqu'en août 1998, peu après les remous violents provoqués par des accords FN-droites dans les nouveaux exécutifs régionaux, l'ancien Premier ministre Edouard Balladur estima naturel de s'interroger sur la mise en place de la "préférence nationale", le Front National passe un nouveau cap. Martin Peltier, rédacteur en chef de National-Hebdo, déjà auteur d'articles anti-juifs et pro-Waffen SS, en appelle, face à la "question de l'immigration " à l'organisation de "rafles et de camps de concentration", ajoutant que, justement, "la Shoah sert entre autres (d'abord ?) aujourd'hui à rendre impensables certains moyens indispensables d'une juste cause, la lutte contre l'immigration-invasion"
(National-Hebdo, 06-12 août 1998).
Suite au tollé déclenché, M. Le Pen félicita publiquement M. Peltier. Ainsi, à chaque palier passé par la "droite républicaine", le parti fasciste put durcir son discours.

A la fin de sa tribune, Fillon qualifie d'ailleurs l'extrême-droite de "nationalisme étroit". La formule parle d'elle-même...