Après avoir fermé les yeux sur le génocide, puis protégé les génocidaires contre les représailles du FPR, l'impérialisme français tente de se défausser sur Kagame, chef du FPR (soutenu à l'époque par l'impérialisme américain...). Deux articles de Libération, publiés le 23/11/06, permettent d'y voir un peu plus clair après les surprenantes déclarations du juge Bruguière au sujet de l'attentat du 6 avril 1994 contre l'avion du Président du Rwanda (Habyarimana). Kagame en était probablement responsable. Est-ce à dire qu'il a "déclenché" le génocide?
Rwanda
Une relecture ambiguë de l'histoire
Le juge Bruguière occulte le fait que le génocide avait été préparé depuis des années
Par Christophe AYAD (Libération)
[...] L'initiative du juge Bruguière ne manquera pas de relancer le débat et, déjà, les cercles hutus militants et anti-Kagame s'agitent sur l'Internet pour renverser la charge du génocide. En substance, leur raisonnement est le suivant : tout le monde savait qu'un tel acte provoquerait des massacres de Tutsis à grande échelle et une réaction terrible des Hutus ; celui qui a commis l'attentat a agi en connaissance de cause ; Paul Kagame, le chef tutsi du Front patriotique rwandais (FPR), grandi en exil en Ouganda, porte la principale responsabilité du massacre des Tutsis de l'intérieur, qu'il a sacrifiés à son but de guerre. Une variante, plus militante, attribue même à Kagame l'intention d'avoir provoqué un génocide en connaissance de cause, pour pouvoir se prévaloir de la «légitimité des cadavres».
Sans aller jusque-là, le juge Bruguière s'inscrit dans cette logique. Il écrit sur un ton parfois plus pamphlétaire ou polémique que juridique : «Le général avait délibérément opté pour un modus operandi qui, dans le contexte particulièrement tendu régnant tant au Rwanda qu'au Burundi entre les communautés hutue et tutsie, ne pouvait qu'entraîner en réaction des représailles sanglantes envers la communauté tutsie qui lui offriraient le motif légitime pour reprendre les hostilités et s'emparer du pouvoir avec le soutien de la communauté internationale.» Dans un autre passage, le juge insiste sur le caractère «prémédité» de l'attentat, qui aurait été décidé dès fin 1993. Cette précision n'a rien d'un détail. Les avocats des présumés responsables du génocide, jugés devant le Tribunal pénal d'Arusha (TPIR), cherchent à prouver qu'il n'avait rien de planifié ni prémédité : un massacre de masse spontané, en somme. Si jamais la préméditation est le fait de Kagame, les hauts responsables hutus extrémistes de l'époque s'en trouveraient disculpés... D'où la bruyante satisfaction exprimée mardi depuis Arusha par les avocats de la défense auprès du TPIR.
Ce raisonnement - et celui de Bruguière dans une moindre mesure - comporte une faille majeure : si le génocide a démarré aussi rapidement, avec autant d'efficacité meurtrière, c'est qu'il était en germe, préparé en quelque sorte. Tout ce débat autour de qui a abattu l'avion occulte des faits précis et connus : la propagande de la radio Mille Collines et des médias de la haine, la formation et l'entraînement des milices Interahamwe, le massacre des populations d'ethnie bagogwe dans le nord du Rwanda en 1991, les massacres de grande ampleur de Tutsis (quelque 20 000 morts) au Bugesera en mars 1992, qui préfiguraient le modus operandi du génocide avec la participation conjointe de gendarmes, de miliciens et de simples paysans ... Au point que certains vont jusqu'à dire qu'un génocide (rampant) avait déjà commencé quand l'avion a été abattu.
Un ennemi résolu de la France
Ex-guérillero, Kagame a conquis le pouvoir contre la volonté de Paris.
Par Thomas HOFNUNG (Libération)
[...] Pour Kagame, l'enquête du juge Jean-Louis Bruguière n'est qu'une énième tentative de déstabilisation de Paris. Une nouvelle preuve de la volonté des Français de continuer leur guerre contre lui par d'autres moyens. «Cela ne veut rien dire qu'un juge en France dont je ne peux même pas prononcer le nom ait quelque chose à dire au sujet du Rwanda et veuille juger un président et des responsables de son gouvernement», a-t-il martelé, hier, ajoutant que la France «devrait d'abord se juger elle-même, car elle a tué notre peuple».
Bruguière, un nom qui, au sens propre, reste en travers de la gorge du président rwandais. Car Kagame n'est ni francophile ni francophone. En 1961, il a 4 ans lorsque ses parents, des Tutsis apparentés à un clan de sang royal, doivent fuir les pogroms de la majorité hutue pour se réfugier en Ouganda. C'est dans ce pays anglophone qu'il se lie avec un jeune homme promis à un bel avenir, Yoweri Museveni. Après des années de guérilla dans le bush, Museveni prend le pouvoir à Kampala et nomme comme chef des renseignements un étranger dans lequel il a toute confiance : Paul Kagame.
Formé à bonne école, mais aussi dans une académie militaire du Kansas, aux Etats-Unis, ce guérillero longiligne, qui dépasse le mètre quatre-vingt-dix, à l'allure d'intellectuel avec ses fines lunettes rondes, participe à la création du FPR, une machine de guerre lancée à la conquête du pouvoir à Kigali. Car Kagame n'a qu'un rêve : rentrer chez lui. Juste retour des choses, il peut compter pour y parvenir sur l'aide de Museveni lui-même soutenu activement par Washington. Mais sur sa route se dresse un obstacle de taille : la France, qui, sollicitée par Habyarimana, s'engage politiquement et militairement aux côtés du régime de Kigali. En 1992, Kagame se rend à Paris pour des discussions secrètes, et garde de son voyage un souvenir cuisant : manoeuvre d'intimidation ou gaffe des services de police, il est jeté en prison durant plusieurs heures, avant d'être relâché sans un mot d'excuse.
Critiques. En juillet 1994, le FPR s'empare du pouvoir à Kigali, dans un pays parsemé de charniers. Kagame est nommé ministre de la Défense, mais dans les faits, il dirige le pays. Deux ans plus tard, il parraine, avec son ami Museveni, l'arrivée de Kabila père au pouvoir à Kinshasa, après une offensive éclair de plusieurs milliers de kilomètres. Longtemps, malgré les soupçons de massacres à grande échelle des Hutus réfugiés au Congo par ses troupes, Kagame a bénéficié de la mansuétude de ses alliés américain et britannique. Mais son interventionnisme persistant dans l'ex-Zaïre, dont Kigali pille allégrement, selon l'ONU, les ressources minières, suscite des critiques croissantes. Mais pas au Rwanda, où aucune voix discordante ne se fait entendre. En 2003, Kagame le Tutsi, qui a banni toute mention ethnique sur les documents officiels, a été élu président par une majorité de Hutus. Une majorité silencieuse.
INFORMATIONS SUPPLEMENTAIRES
Un rapport de la «National Security Archive» démontre que l'impérialisme américain savait: http://www.gwu.edu/~nsarchiv/NSAEBB/NSAEBB117/
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